De Cerbère au Pic Neulos et de la Tour Massana au Boulou. Histoire, Patrimoine monumental et Naturel. Vie quotidienne. Événements. Revues et Livres. Littérature. Gastronomie et Vins.

samedi 4 décembre 2021

Du domaine de l'Aigle à celui du Lion

Des poésies qui subliment le Roussillon d'Armand Aloujes.

     Auteurs de très nombreux articles sur le Roussillon, de réflexions, de descriptions imagées, de pensées, de promenades dans nos montagnes, de rencontres, de reportages sur des métiers, enfin tout ce qui célèbre la façon de faire ou le savoir faire catalan.


     Armand Aloujes, Cotlliurenc, est un fervent admirateur des aspects incommensurables de nos diverses productions toutes d’appellation "Produit en Pays Catalan" qui est la marque unique et indélébile de notre terre Catalane.

     Dans ce recueil, vous retrouverez certaines de ses poésies que vous avez pu apprécier dans la revue Massana au fil des ans. Elles sont simples, sans artifices, véritables telles qu'on les aime. Si vous avez l'occasion de découvrir ou de lire cet ouvrage, soyez sur que vous ne le regretterez pas. 
Et si, dans les rues de Collioure,  vous rencontrez Armand Aloujes n’hésitez pas à le lui demander.
     Sont éditées au cours des 160 pages, 156 poésies agrémentées de diverses photos ou reproductions.

Andreu Capeille.

Reproduction de la couverture du recueil et d'une pensée-recommandation de l'auteur.

vendredi 22 octobre 2021

Fête de la découverte : Citrouilles 2021

FERME DE LA DÉCOUVERTE DE SAINT-ANDRÉ 2021                                                                             "Ferme de Découverte communication.ferme@gmail.com"

jeudi 14 octobre 2021

Sorède Autrefois

MŒURS ET CONDITIONS DE VIE AUTREFOIS A SOREDE
Christian Baillet
La lecture de la correspondance municipale, échangée avec les autorités préfectorales ou royales, peut se révéler riche de renseignements concernant la vie des Sorédiens de jadis. Ceci à plus forte raison lorsqu'elle traite de l'aspect humain concernant leurs mœurs et leurs traditions. Parmi tous ces documents, plusieurs écrits me paraissent mériter de figurer dans cet article. Tous s'appuient sur des situations et des faits réels pouvant sembler anachroniques à nous lecteurs d'aujourd'hui. Pour cette raison, j’ai voulu les accompagner de commentaires permettant de resituer le contexte de l'époque. Ces explications nous aident à mieux décrypter certains agissements semblant surannés, voire plus ou moins étranges. Quelle que soit l'interprétation personnelle que nous pouvons en faire, évitons toutefois de les analyser avec notre vision de 2018. Une lettre du Maire au Préfet au sujet d’une plaisanterie de mauvais gout, en 1905

Le 29 janvier 1905,
Monsieur le Préfet de Perpignan,
Un cas assez rare vient de se produire dans ma commune. Le 12 janvier dernier, par une délibération que vous avez bien voulu approuver le 18 du même mois, le conseil municipal a exprimé le désir qu’une place publique de la commune, primitivement dénommée « place Saint Pierre » fut appelée « place Emile Combes ». Dimanche dernier, je fis poser la nouvelle plaque indicatrice et le surlendemain, c'est-à-dire mardi soir, je vis avec étonnement un Christ nouvellement acheté et cloué les pieds, touchant le bord de ma plaque. Evidemment ce ne pouvait être qu’une de ces fines railleries comme savent en faire les réactionnaires de ma commune. Une très simple enquête m’en donna la certitude ; j’appris en effet que le Christ en question avait été placé par le Sieur Etienne N., fils réactionnaire militant mais peu intelligent. Je crois devoir ajouter que cet emblème est placé sur la façade d’une maison particulière, ce qui rend perplexe pour la solution à donner à cette affaire. J’ai eu beau compulser tout l’arsenal des lois et arrêtés, je ne trouve rien qui me donne le droit de faire enlever cet emblème.

Ne pourrais-je pas dans l’intérêt de l’ordre public et pour prévenir tout trouble pouvant résulter de cette sorte de provocation indirecte adressée aux républicains de ma commune, prendre un arrêté prescrivant toutes exhibitions d’emblème religieux sur la voie publique et prescrivant l’enlèvement de ceux existants ? J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me conseiller.
Lettre du maire de 1905, déplorant qu’un Christ fut posé sur un mur de la place publique 

 Le Maire Achille Vassal
Cette première lettre, au-delà d’un acte pouvant être perçu de nos jours comme mesquin et dérisoire, montre de toute évidence le climat de discorde qui régnait dans le village. Elle témoigne de la bataille souterraine à laquelle se sont livrés les partisans de la religion et les anticléricaux, lors de la promulgation de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905.
En effet, comme de nombreuses communes rurales de notre département, Sorède a connu des difficultés de cohabitation entre ces deux institutions, avec d’un côté, les Rastaillers (réactionnaires nostalgiques de la royauté et cléricaux), et de l’autre les Republicans (modernistes, partisans de la justice et anticléricaux convaincus). Ils ont marqué leurs oppositions en se livrant à quelques provocations par espiègleries interposées. Ils se déchirèrent aussi dans une « guéguerre » acharnée venant perturber la vie paisible de notre village. Tous les moyens ont été mis en œuvre pour empêcher le camp adverse de s’imposer. Ce geste de provocation en est un exemple frappant.

Ceci dit, les informations contenues dans cette lettre me paraissent suffisamment explicites pour ne pas ajouter de commentaires superflus. Saluons seulement le courage et la perspicacité de ce maire qui a su solutionner ce problème, en gardant son sang-froid face à cette conduite déplacée et en ne cédant pas à la provocation.

Une lettre du Maire à Monsieur le Procureur du Roi de Céret concernant un témoignage étrange s'étant déroulé en 1844
Ou l’exercice illégal de la médecine

Le 12 juillet 1844,
J’ai reçu votre lettre du 8 courant, relative à E.G. demeurant à la métairie Joachim qui exerce illégalement l’art de guérir.
Après avoir agi en conséquence de ce que vous me prescrivez dans ladite lettre, j’ai parlé à M.C., femme G. et M.B. femme C. qui dit-on, sont allées le consulter toutes les 2, se sont renfermées dans le silence le plus absolu. J’ai aussi parlé à C.V. femme A., qui a fait la déposition suivante :
« J’ai été consulté E.G. au sujet de la maladie de ma fille. Il tira de suite un jeu de cartes et après les avoir mêlées, il en tira une et après l’avoir examinée, il dit que le mal de ma fille lui avait été donné par 2 jeunes hommes, en particulier lui avait donné le mal en lui faisant toucher une lettre. Il ordonna ensuite que pour la guérison de ma fille, elle devait prendre un certain sirop qui lui rendrait à raison de 3 cuillers par jour. J’en pris pour une cinquantaine de jours ».
J’ai ensuite fait appeler R.G. femme pour qui a déposé ce qui suit :
« J’ai été témoin lorsque C.A. a consulté E.G. au sujet de la maladie de sa fille. Il lui a dit que sa fille était perdue, qu’il était déjà trop tard pour pouvoir la guérir, que le mal lui avait été communiqué par un jeune homme en lui faisant toucher une lettre. Vous pouvez cependant essayer de lui faire faire l’usage d’un sirop, que je vous prescris ». SOR 3 / Liste des Médecins, Pharmaciens et Sages-femmes datant de 1875
Signé : le maire

Cette seconde lettre nous rappelle combien les pratiques superstitieuses étaient ancrées dans les mentalités Sorédiennes d'autrefois. Elle nous interpelle aussi sur la crédulité de certains Sorédiens face à des imposteurs. Si ces quelques lignes peuvent heurter notre bon sens et notre conception de l'exercice de la médecine d'aujourd'hui, c'est aussi parce que des personnages sérieux (le maire entre autre), dont la bonne foi ne peut être mise en cause, se sont impliqués lors de cette affaire. Notre propos ici n'est donc pas de porter un jugement critique sur le comportement de tous ces gens, mais bel et bien de le décrypter afin d’essayer de les comprendre.

Lettre du Maire de 1844, au Procureur du Roi de Ceret sur le cas d’un jeune contaminé - Liste des Médecins, Pharmaciens et Sages-femmes datant de 1875 à Sorède. 

Mais tout d'abord, remémorons-nous brièvement le contexte social et sanitaire de cette époque. En cette moitié du XIXème siècle, de nombreux « thérapeutes » : curranderes (apothicaires amatrices), saludadors (guérisseurs), desembruixadors (exorcistes)… exercent leurs pouvoirs curatifs à l’aide de procédés pour le moins étranges. Ils se disent investis du don de guérir et possesseurs d'un savoir-faire hérité de leurs ancêtres. Leurs méthodes sont souvent basées sur l'absorption de potions, en la circonstance « un certain sirop », ou sur des dévotions faites en intercédant auprès de « Saints Guérisseurs ». Ceci est d’autant plus vrai que la superstition est partout, y compris dans la religion. Beaucoup assimilent encore à des maléfices ces maladies plus ou moins occultes. La preuve en est avec ce rituel encore en vigueur à cette époque : le respons de Sant Antoni (l'absoute de Saint Antoine), consistant à conjurer le mauvais sort ou à le chasser à l'aide d'une prière pendant laquelle on fait brûler de l'épilobe1. Il semble alors bien difficile de faire le distinguo entre médecine, religion et pratiques thérapeutiques obscures.

Pourtant l’exercice de la médecine a été récemment réglementé. La loi du 19 ventôse de l’an XI de la République d'Olivier Dalloz est venue clarifier cette activité en rappelant « la distinction faite entre un officier de santé, un docteur et un chirurgien »2. Mais certains de ces thérapeutes semblent être passés au travers de la réglementation, et tentent malgré tout d’usurper le titre de médecin tant convoité. D’ailleurs un dénommé Mr Cros, maitre en chirurgie3 exerçant à Sorède en 1843, venait d’en faire les frais et a dû quitter le territoire afin d’échapper à une sanction de la part de ses pairs.
Signalons également qu’en 1844, date à laquelle se situe cet épisode, la médecine moderne, et notamment les travaux de Louis Pasteur4, ne sont pas encore d’actualité. Personne ne connaît véritablement l'existence et l'action des microbes, bacilles et autres virus, rendant par conséquent les causes de certaines affections méconnues. 


Louis Pasteur – Carte 1° jour de France – Timbre de 1987 - Centenaire de l’Institut Pasteur

Régulièrement des maladies, comme celle de la « clavelée5 », sévissent parmi les troupeaux de bêtes à laine, alors que leurs éventuelles transmissions à l'homme ne sont pas encore élucidées. En 1843 par exemple, le maire est obligé de prendre un arrêté visant leur mise en quarantaine sans le moindre motif d'explication6. « Je ne peux dire si le troupeau est atteint d’une maladie contagieuse ou s’il a été empoisonné. Il faut faire appel à un homme de l’art.» se contente de répondre le maire dans une lettre adressée à la sous-préfecture. En 1870, c’est au tour des chiens de présenter des signes de maladie contagieuse. Le maire envoie un télégramme à la sous-préfecture réclamant l'autopsie d'un chien
soupçonné d'hydrophobie7. Le risque de contamination des puits semble être une préoccupation permanente pour le maire qui régulièrement promulgue des arrêtés municipaux contre les risques de pollution, etc…
Tous ces phénomènes, plus ou moins suspectés et diagnostiqués, sont donc autant d'inconnues sur lesquelles la population est en droit de s'interroger. D’autant plus que la dernière épidémie de choléra, survenue en 18358, peut laisser croire que la contamination directe, et notamment par « le toucher », reste encore possible. Tous ces préjugés, auxquels un grand nombre de gens croient encore, n'expliqueraient-ils pas dans le cas présent le recours à un désenvouteur ? Ceci est d’autant plus vrai que des males dones (sorcières) avec leur lot de maléfices abusent elles aussi de la crédulité des Sorédiens.
Enfin deux autres remarques méritent aussi d’être soulevées : La première concerne leurs conditions de vie. A cet effet, il convient de préciser que de nombreux Sorédiens habitent encore dans des métairies (ou mas), éloignées du village. En 1843, un état des lieux effectué par la municipalité recense : 12 métairies éparses comptabilisant plus de 80 habitants9 ; à savoir un isolement pouvant favoriser un contexte propice aux croyances et à un mode de vie encore très archaïque ? La seconde touche au vocabulaire proprement dit. On notera cette allusion à l’état de santé de la jeune fille : « il lui a dit que sa fille était perdue ». Une phrase lourde de conséquences, pouvant provoquer le désarroi et l’affolement chez une mère vulnérable. Notons enfin, au crédit du maire et du sous-préfet, leur rôle « moderne » et factuel ; en substance : la mise à l’écart du faux médecin, l’implication par un échange de courrier et la mise en quarantaine des animaux.

C’est par conséquent dans ce contexte, d’excès d’archaïsme, de crédulité populaire et de superstitions, que se serait déroulée cette affaire, auquel il faut rajouter le désarroi d’une mère… et nous avons là tous les ingrédients favorables à un terrain propice aux impostures ! Arrêtons donc là les tentatives d’explications et restons prudents sur les interprétations à lui accorder.   

Notes :

1 Communément appelée l'herba de Sant Antoni et à laquelle on attribue des pouvoirs de libération satanique
2 Réf : WIKIPEDIA. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) instaure des écoles de médecine. La distinction est abolie entre médecins et chirurgiens.
3  Dérivée de la rage. La personne désignée pour cette autopsie est rémunéré par abonnement rapportant 1100 frs par an (administration générale ADPO série M rapport de B. Ramonet adressé le 3/6/1811 au gouverneur général Mr Renouard)
4 L. Pasteur se rendit à Perpignan en 1867 pour visiter des magnaneries et s’enquérir de la maladie parasitaire La Pébrine transmise par le ver à soie
5 Maladie infectieuse des moutons non transmissible aux hommes
6 En fait il s'agit de la variole mais cette information n'est pas communiquée à la population
7 Maladie présentant les symptômes de la rage. Maladie soignée à cette époque par des saludadors pratiquant des superstitions sur les malades. Réf : Rapport d’un officier de santé B. Ramonet adressé le 3/6/1811 au gouverneur général Mr Renouard
8 Le maire après avoir convoqué en session extraordinaire le conseil municipal a pris un arrêté concernant la propreté des rues pour prévenir de ces risques d’épidémie. Réf : AC
9ls ont pour nom Bassola : 6 habitants, Ca : 3 habitants, Cassagnes : 8 habitants, Desoutres : 5 habitants, Félix : 12 habitants, Gregori : 10 habitants, Ginaral : 2 habitants, Jarlé : 14 habitants, Jeppe Gironi : 4 habitants, Marie-Angel : 3 habitants, Pouaté : 9 habitants, Tartère : 2 habitants (AC)

jeudi 30 septembre 2021

Conte d'un Noêl ordinaire

      Notre ami  André Vinas est décédé le mercredi 08 mars 2017 à l’âge de 92 ans. 

Membre fondateur de Massana depuis les années 1980, il participa à l’élaboration de la revue et était notre correcteur jusqu’en 2016. Ensuite la maladie a pris le dessus sur sa vie quotidienne ce qui entrainait de nombreuses difficultés pour lui-même et sa famille. Mais avant de nous quitter, il avait tenu à donner aux lecteurs de Massana-Albera, ce dernier écrit « Conte d’un Noël ordinaire »
     Photo : André Vinas, chez lui au Mas Catherine d’Argelès, en juin 2015, sous le portrait d’Anne-Marie Monié son épouse.  Le journal l'Indépendant rend hommage à cet écrivain.


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CONTE D’UN NOËL ORDINAIRE. André Vinas
Ce texte a été publié par la revue Massana-Albera, numéro 55, en 2017.
Comme elle entendait son mari taper ses sabots sur le seuil de la porte, en bas, Mélanie cria depuis la cuisine :
« Ils sont partis ? »
- « Ils sont partis... ils m’ont donné une bouteille pour me remercier de m’occuper des vaches »
« Ah bon. Mais ferme vite la porte. Avec toute cette neige ... »
Bonaventure continuait de taper ses sabots sur le granit. « C’est vrai que ça pince ! » se disait-il. La neige scintillait dans la cour. Il entra dans la pénombre de ce rez-de-chaussée qui servait en même temps d’étable pour les deux vaches qu’il avait encore et dont la chaleur chauffait presque à elle seule l’étage où il vivait avec sa femme. Il posa la bouteille de blanquette, debout derrière la porte. à terre, contre la muraille.
Joseph et Victorine étaient donc partis avec leur fils venu de la plaine en voiture pour les emmener passer la Noël chez lui. Ils avaient d’abord refusé, non sans regret, à cause des vaches. Mais quand Bonaventure avait dit qu’il s’en occuperait, après encore quelques manières, comme ça, pour la forme, pour le plaisir de se faire prier, ils avaient cédé, bien contents de le faire; et voilà, le fils était monté la veille au soir. Il avait donné un coup de main au rangement indispensable de la maison et aux bagages à emporter. Tous les trois, après le repas de midi, étaient venus embrasser Mélanie qui avait servi le café. Une fois offert le traditionnel petit verre d’eau-de-vie, Bonaventure les avait accompagnés jusqu’au portail de leur ferme dont Joseph lui avait remis les clés, et la voiture s’était lentement engagée dans la pente, en faisant craquer le verglas. Bonaventure était revenu vers sa maison à pas prudents, les pas de quelqu’un habitué à marcher sur un sol glissant. Le jour tombait déjà et le soleil, prompt à disparaître, faisait briller encore davantage la neige.

Ils étaient seuls maintenant, elle, menue, le visage épargné par l’âge, toute vêtue de noir, et lui, la casquette vissée sur ses cheveux blanchis depuis peu, alors que sa moustache à la Vercingétorix, était encore noire, seuls donc avec la solitude et le froid autour des bâtiments gris que la neige faisait paraître plus gris, au crépis rongé par le temps. Des chandelles de glace pendaient des lloses des toitures et un fourreau éclatant entourait le jet de la fontaine qui ne gazouillait plus. Seuls les volets encore ouverts et la fumée de la cheminée signaleraient leur présence non pas aux passants car il ne passerait personne, sauf s’il arrivait un événement grave, mais aux autres hameaux accrochés à la pente des champs et qui composaient le village qu’une nuit glaciale allait envelopper.

La bouffée de chaleur que sa maison lui avait lancée à la figure, avec l’odeur familière des vaches, quand il avait ouvert la porte, lui avait fait plaisir et c’est pourquoi il s’attardait à taper ses sabots sur le granit du seuil tandis que là-haut Mélanie s’impatientait :
« Mais ferme cette porte, bon sang ! Tu finiras bien par prendre mal ! »
- Ça va, ça va ! grommela-t-il en fermant la porte qui grinça sur ses gonds.
En revenant de chez Joseph dont le chien le suivait pour aller se coucher dans l’étable, il avait observé les traces de pas dans la neige. Des empreintes petites, des pas de femmes. Et ceux de Mélanie, qui venaient de sa maison. Toutes ces traces conduisaient à l’église, ou plutôt au cimetière car l’église était fermée. Plus de prêtre depuis longtemps déjà et plus de maître d’école aussi. Mais des femmes étaient venues faire visite à leurs morts en cette veille de fête. Et Mélanie aussi était venue et Victorine aussi avant de partir avec son fils pour la plaine.

Bonaventure n’était pas content. Ils avaient cru, sa femme et lui, que leurs voisins ne partiraient pas, qu’ils passeraient la nuit de Noël ensemble; à faire une longue partie de cartes d’abord et leur petit réveillon ensuite; mais ils étaient bel et bien partis et eux restaient seuls avec les vaches, les chiens et les chats (leurs animaux et ceux de Joseph, bien sûr). Et il fallait se faire à l’idée que personne ne passerait, d’autant plus qu’en prévision d’un coup de mauvais temps toujours possible, les femmes étaient venues au cimetière le matin.
Avant de monter à l’étage où il entendait Mélanie vaquer de la salle commune à la chambre, car elle se trouvait toujours quelque chose à faire, il s’approcha de ses deux vaches qui lentement broutaient leur herbe à la mangeoire, Estellada et Cardine qui suffisaient à leurs besoins pour le lait et les fromages et pour ramener le bois de la forêt et les fourrages fauchés aux quelques pièces de prairie encore exploitées. Il flattait de la main leur échine et leur mufle, l’une après l’autre, et les bêtes le regardaient avec un calme que l’on pouvait prendre pour du contentement. Alors il commença de monter l’escalier de bois luisant dont les marches geignaient sous ses sabots et émergea dans la salle où la cuisinière basse (on n’en voit plus beaucoup aujourd’hui), toute en fonte, ronflait et égayait la pièce de ses rougeoiements.
« Alors ils sont partis » dit Mélanie.
« Ils sont partis. Leurs vaches n’ont besoin de rien, jusqu’à demain. Le chien est revenu avec moi. Il est en bas »
Il s’assit et posa ses mains bien à plat sur le velours de son pantalon...
Mais pourquoi raconter tout cela, la porte qui grince, l’escalier luisant qui craque sous les sabots de Bonaventure, la cuisinière en fonte, ronflant doucement et jetant des lueurs de sang à travers ses micas, et ajouter encore que Mélanie qui s’est enfin assise près de la cuisinière, le chien lové à ses pieds, et qui grignote, déguste plutôt, un “Petit Beurre”, une de ses gourmandises... Pourquoi raconter tout cela et aussi ce qui précède, sans oublier le chat Pilou étiré sur le bahut près de la fenêtre, sans oublier non plus le départ de Joseph et de Victorine; cette solitude et ce froid, banalités désarmantes, communes à tout le village et à bien d’autres villages des hauts pays, de tous les hauts pays abandonnés? Sinon pour dire que ces gens vont passer Noël comme un jour ordinaire dont on aurait bien pu ne pas parler.

Joseph et Victorine, eux, ont eu de la chance. Leur fils est venu les chercher. Même qu’ils sont partis avec leurs beaux habits, les mêmes que pour le mariage du fils, et que Victorine avait suspendus dehors tout un jour pour qu’ils sentent moins fort la lavande de l’armoire. Et Joseph a mis une cravate et Victorine son chapeau à fleurs. Ça aussi c’est banal, mais pour eux au moins ce n’est pas banal car Noël ne sera pas un jour ordinaire.
La nuit maintenant tombe très vite. Bonaventure est redescendu chercher quelques bûches pour la veillée. Quand il est remonté, Il a vu Mélanie qui battait des œufs dans un saladier.
« Qu’est-ce que tu fais ? » Qu’il a dit.
« Je vais faire des beignets de pomme. C’est Noël aussi pour nous, même si nous sommes seuls. Tu devrais couper quelques tranches de jambon. On mangera des rostes (lard grillé). Et j’ai un bocal de pêches au sirop »
« Si tu veux », dit-il sans enthousiasme.
En allant vers la resserre où se trouve le jambon, il regarde à travers la fenêtre encadrée de givre. Au-dessus des trois sapins et de la montagne qui domine tout le village, les étoiles scintillent comme tout à l’heure la neige scintillait. Très haut, des parois de glace font ressembler la cime à une cathédrale. Mais ce qui attire surtout l’attention de Bonaventure, c’est une couleur d’argent sur des murailles pas comme les autres.
« Viens voir, Lanie, viens voir ! Les fées ont étendu leur linge là-haut! Malgré le froid ! »
Mélanie s’approche. Elle colle son front à la vitre.
« C’est pourtant vrai » dit-elle en se signant. « Les fées sont de sortie. Elles ne craignent pas le froid et leur linge ne gèle pas ! La nuit sera belle et bonne. Peut-être viendront-elles sonner la cloche, qui sait ! Notre fille n’est pas venue, mais les fées sont là, au-dessus de notre maison »

Lui, hausse les épaules. Les fées ! Il avait parlé pour plaisanter. Pourtant ces plaques d’argent l’intriguent. On parle souvent des fées ici. Ses parents en parlaient. Sa mère et sa grand-mère surtout, et la tante Julita qui racontait volontiers qu’elles lui avaient fait escorte un jour d’orage dans la haute vallée où elle était montée porter le sel aux bêtes car son mari était malade. Les hommes hochaient la tête sans prendre vraiment parti. Mais les bergers, eux, y croyaient. Et chacun avait son mot à dire, son histoire à raconter !

Soigneusement Bonaventure coupe les tranches de jambon. Il sort d’un placard une bouteille de vieux Maury, cadeau d’un bûcheron de la plaine, à qui il a rendu service. Il garde le mousseux de Joseph pour le boire à leur retour dans la joie des retrouvailles.
Mélanie met les couverts et voilà qu’il faut qu’elle parle :
« La petite aurait pu venir » bougonne-t-elle. -
Mais non, dit l’homme. « Ils sont trop loin. Tu ne te rends pas compte où c’est, la Guadeloupe, surtout en hiver ! »
Il l’affirme d’autant plus fermement qu’il n’en est pas vraiment sûr. C’est vrai que les visites de leur fille sont rares ! La situation du gendre oblige. Mais tout de même. Voilà que leur petit-fils, c’est comme s’ils ne le connaissaient pas ! Et leur maison non plus, ils ne la connaissent pas ! Il aurait préféré que Mélanie ne dise rien, qu’ils se contentent de penser tous les deux la même chose, sans rien dire. « Tu verras, ils viendront pour Pâques et d’ailleurs ils vont écrire pour le Nouvel An ! » Et de cela non plus, il n’est pas du tout sûr, mais il faut bien dire quelque chose, sinon Mélanie va fondre en larmes ! Et ce sera un drôle de Noël !

" Regarde, Lanie, les fées sont toujours là-haut, même que la lumière est encore plus brillante »
Elle regarde, les yeux déjà humides.
« Elles auraient pu dire à la petite de venir ! »
- Elles ne sont pas en Guadeloupe, les fées, mais simplement sur notre village ! Allons, ne va pas gâcher tes beignets et tes rostes !
- Tu as raison, dit-elle en reniflant, tu as raison, c’est trop loin la Guadeloupe !

Ils ont mangé lentement les beignets craquants à souhait, puis les rostes qui s’accordent très bien avec le vieux Maury dont il reste juste assez pour accompagner les pêches au sirop... Bonaventure prendra un verre de marc dans lequel il fera tremper un sucre pour sa femme... et ainsi la nuit s’avance autour de la maison enveloppée de froid et de cette lumière insolite tombée du haut des monts, la lumière des fées. Et voici que le vent fait claquer les volets et casse des chandelles de glace au ras du toit. Ils sont serrés l’un contre l’autre près du feu, le chien à leurs pieds, le chat toujours endormi sur le bahut. De temps en temps, les sabots des vaches frappent sur les dalles d’en bas. Eux lâchent parfois quelque parole qui rappelle l’enfance de la petite, quelque parole capable de les faire sourire pendant que cette veillée à demi somnolente s’étire, jusqu’au moment où la cloche les tire de leur torpeur.
« Ce sont les fées, dit Mélanie toute tremblante, ce sont les fées !
-Tu vois, Mélanie, elles sont venues jusque-là, te souhaiter un joyeux Noël ! »

Bonaventure n’en croit pas un mot, mais il faut bien qu’elle ait son moment de joie, sa pauvre vieille pour qui la Guadeloupe est bien trop loin du village sans téléphone et sans télévision, sauf chez le maire !...
Enfin tous les deux iront se coucher car ils n’ont rien d’autre à faire pour cette veillée ordinaire et pas tout à fait ordinaire pourtant à cause des fées, et, au soleil à peine levé, il faudra rallumer le feu avant que les braises ne meurent et s’occuper des vaches, les leurs qui commenceront à s’agiter devant leur mangeoire vide, et celles de Joseph qui là-bas, dans la plaine, doit penser à elles et regrette peut-être de les avoir laissées...

mercredi 22 septembre 2021

Fête à Argelès : Sts Côme et Damien

ARGELES SUR MER - FESTA DELS SANTS COSME I DAMIÁ 

Du 24 au 26 septembre, Argelès-sur-Mer fêtera ses saints patrons Côme et Damien à travers de nombreux rendez-vous festifs et ludiques. La légende veut qu’au XVIIe, Argelès fut touchée par une épidémie de peste. Elle cessa le jour de la fête des saints, le 27 septembre 1652 et la population fit alors le vœu d’effectuer chaque année une procession solennelle pour les honorer... 
     Aujourd’hui, la Saint- Côme et Saint-Damien est une véritable fête populaire, qui réunit à l'entrée de l'automne Argelésiens et locaux.
     La Festa Major met à l’honneur cette année son patrimoine culturel et ses traditions avec Castellers, Gegants, Bandas, Cobles et Sardanes, mais également son patrimoine naturel, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco à travers la hêtraie de la Massane.
     Trois jours de fête au cœur du village à ne pas manquer, avec notamment l’incontournable Cabaret des Argelésiens, du street art et une mystérieuse chasse aux fantômes…


Lettre info Mairie d'Argelès-sur-Mer du 22 septembre 2021.