LES TROMPES DE BERGER EN TERRE CUITE « dans nos régions et dans l’Albera »
Georges MICHEL (Pour tous les amateurs de vieux outils,
n’oubliez pas de visiter le blog de l’auteur
de cet article : http://vieux-outils-art-populaire.blogspot.fr/
La trompe de
berger qui peut être en corne bien sûr,
mais aussi en bois, en écorce, en coquillage, et en terre cuite ou en
grès, est également appelée : corne, cor, cornet ou trompette.
Elle n'émet qu'un son, qui peut porter à plusieurs
kilomètres, elle sert à donner des signaux, rallier le troupeau, annoncer une
approche, elle permet donc de communiquer notamment avec d'autres bergers, les
chiens et le troupeau.
Cette
céramique est le plus généralement non émaillée, elle semble avoir été produite
dès l'époque romane par des potiers, en forme droite ou légèrement cintrée, et
sous deux dimensions: une quarantaine de cm pour un usage à la chasse et
environ 70 cm pour les guetteurs en haut des tours.
Au Moyen Âge, le seigneur ou ses guetteurs avaient seuls
le droit de sonner de leur trompe en cas d’attaque; une exception toutefois, le
berger qui pouvait jouer de la trompe mais uniquement lorsque ses bêtes étaient
dehors. Il ne semble d'ailleurs pas que les bergers aient utilisé de trompe
avant cette époque.
Par la suite, ces trompes furent utilisées pour
différents signaux : s'avertir les uns les autres en cas de danger, à la chasse
en battue, appeler les travailleurs aux champs … et dans les diverses
manifestations bruyantes : fête publique, manifestation de conscrits,
charivari, lors de pèlerinages, vacarme de l'office des ténèbres durant la
Semaine sainte …
Mme Espérance de Brimont
Bien des centres de potiers ont produit ces céramiques, à
travers le pays.
À Saint-Jean-de-Fos, il semble que l’on ait produit ces
trompes de la seconde moitié du XVe siècle au début du XXe.
Elles étaient également produites en nombre à Aubagne et à Saint-Zacharie.
Relevons une tradition qui, à Saint-Jean-de-Fos, voyait les enfants de chœur utiliser des trompes
durant la Semaine sainte lorsque les cloches étaient à Rome. Le dimanche de
Pâques lors d'une importante cérémonie à la croix de la Vierge du Roc pointu,
un jeu consistait à s’emparer de la trompe de son voisin et à la briser contre
le rocher, lieu où des tessons de trompes se sont accumulés durant des années
Plus près de nous à Béziers un potier en fabriquait
encore au début du XXe siècle, "pour la clientèle
ecclésiastique", elles servaient là aussi aux enfants de chœur. Les
dernières commandes auraient été celles de l'église d'Agde.
Qu'en était-il en Roussillon? Ici, pour la Semaine
sainte, les enfants de chœur utilisaient
la matraca, planchette munie d’un
manche contre laquelle viennent frapper deux autres planchettes sur charnière
et peut être aussi le claquoir,
planchette sur laquelle est fixée une poignée en métal qui frappe
alternativement à droite et à gauche, grâce à un léger mouvement de la main ?
Nous ignorons si certaines paroisses leur fournissaient aussi des trompes.
Par contre nous savons qu'à Banyuls-sur-Mer, ces trompes
étaient utilisées le Vendredi saint lors du traditionnel vacarme appelé :
"patrica-patroca", grâce à
l’ouvrage de France Vetterlein-Marsenach et Ulrich Vetterlein, « Banyuls-sur-Mer, quand un village se raconte…»
(St-Estève, Les Presses littéraires, 2010)
"Une tradition rassemblait, autrefois, dans
les églises, tous les paroissiens qui assistaient à la messe du Vendredi Saint.
A la fin du Chemin de Croix, sur l'ordre du curé, on éteignait les cierges et
les fidèles déclenchaient un tapage infernal. Ce tintamarre symbolisait le
cataclysme qui marque l'heure de la mort du Christ, selon l'évangile de
Mathieu. Ce charivari, qui était appelé, par onomatopée, la
"patrica-patroca", était aussi une forme populaire d'expression de
colère envers les Juifs déicides. Pour faire ce tapage, on utilisait des
instruments divers, entre autre des masses de bois et des bâtons pour frapper
le dallage, des crécelles, on entrechoquait des cailloux, comme à Collioure. A
Banyuls-sur-Mer, on utilisait aussi de petites cornes de berger en terre cuite
appelées "banyes de fer fúger els jueus" ou "banyes
de matar jueus". À l'origine on sonnait ces cornes pour faire
rentrer les troupeaux.
Celles qui sont
reproduites ici ont été retrouvées en 1940 dans un mas en ruines de la vallée
de la Baillaurie, dans l'arrière-pays de Banyuls.
Suivant les
villages, à Banyuls, Collioure, Pézilla, Rigarda, Vernet-les-Bains, dans le
Vallespir etc., la tradition de la "patrica-patroca" a été respectée
jusqu'en 1945/46 environ."
Les trompes auxquelles il est fait référence
(photographies page précédente) sont la propriété de Mme Espérance de
Brimont-Terradeil.
Ci-dessous une trompe de berger enroulée à un tour, que
j'ai chinée à Collioure. Je sais pertinemment qu'aujourd'hui, le lieu de
découverte est de plus en plus rarement le lieu de fabrication ou le lieu
d'usage, mais la proximité avec Banyuls me laisse perplexe.
L x l x H: 14 x 8,5 x 9,5 cm - longueur développée 34 cm
- 340 gr terre rose foncé - engobe blanc
La question qui se pose est alors de savoir si de telles
céramiques ont été produites en Roussillon.
Sinon étaient-elles importées, et d'où ?
En Espagne, la tradition est conservée dans certaines
paroisses, ainsi à Priego de Cuenca, des trompetas
de s. santa en terre cuite sont
toujours fabriquées.
En 2010 un potier écrivait :
"Dans le
temps, lorsque arrivaient les fêtes de la Semaine sainte, tous les potiers
préparaient toute une collection de " trompetas de s. santa "afin que
tous puissent faire sonner leurs trompettes lors du passage de la procession
qui allait de la chapelle Saint Roque à l'église. J'ai préparé les trompettes,
mais aujourd'hui, ce sont seulement les enfants qui demandent à leur parents de
leur en acheter"
L x Ø maxi : 29,5 x 11 cm - 380 gr - terre rose - décor
peint - marque au clou: Julian Tarra Priego
Grand merci à Cédric
BLANCH, Conservateur honoraire des Antiquités et Objets d’Art, qui nous a aimablement indiqué l’existence de
cet article (Article rédigé pour la revue interne à
l'association locale Terres cuites, dont je suis membre), et communiqué les photos qu'il a réalisé des trompes appartenant à
Mme Espérance de Brimont-Terradeil.
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