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lundi 11 mars 2019

Trompes de berger en terre cuite


LES TROMPES DE BERGER EN TERRE CUITE « dans nos régions et dans l’Albera »
Georges MICHEL (Pour tous les amateurs de vieux outils, n’oubliez pas de visiter le blog de l’auteur de cet article : http://vieux-outils-art-populaire.blogspot.fr/
     La trompe de berger qui peut être en corne bien sûr,  mais aussi en bois, en écorce, en coquillage, et en terre cuite ou en grès, est également appelée : corne, cor, cornet ou trompette.
     Elle  n'émet qu'un son, qui peut porter à plusieurs kilomètres, elle sert à donner des signaux, rallier le troupeau, annoncer une approche, elle permet donc de communiquer notamment avec d'autres bergers, les chiens et le troupeau.

     Cette céramique est le plus généralement non émaillée, elle semble avoir été produite dès l'époque romane par des potiers, en forme droite ou légèrement cintrée, et sous deux dimensions: une quarantaine de cm pour un usage à la chasse et environ 70 cm pour les guetteurs en haut des tours.
Au Moyen Âge, le seigneur ou ses guetteurs avaient seuls le droit de sonner de leur trompe en cas d’attaque; une exception toutefois, le berger qui pouvait jouer de la trompe mais uniquement lorsque ses bêtes étaient dehors. Il ne semble d'ailleurs pas que les bergers aient utilisé de trompe avant cette époque.
Par la suite, ces trompes furent utilisées pour différents signaux : s'avertir les uns les autres en cas de danger, à la chasse en battue, appeler les travailleurs aux champs … et dans les diverses manifestations bruyantes : fête publique, manifestation de conscrits, charivari, lors de pèlerinages, vacarme de l'office des ténèbres durant la Semaine sainte …
                                                                                   Mme Espérance de Brimont


Bien des centres de potiers ont produit ces céramiques, à travers le pays.
À Saint-Jean-de-Fos, il semble que l’on ait produit ces trompes de la seconde moitié du XVe siècle au début du XXe. Elles étaient également produites en nombre à Aubagne et à Saint-Zacharie.

Relevons une tradition qui, à Saint-Jean-de-Fos, voyait  les enfants de chœur utiliser des trompes durant la Semaine sainte lorsque les cloches étaient à Rome. Le dimanche de Pâques lors d'une importante cérémonie à la croix de la Vierge du Roc pointu, un jeu consistait à s’emparer de la trompe de son voisin et à la briser contre le rocher, lieu où des tessons de trompes se sont accumulés durant des années
Plus près de nous à Béziers un potier en fabriquait encore au début du XXe siècle, "pour la clientèle ecclésiastique", elles servaient là aussi aux enfants de chœur. Les dernières commandes auraient été celles de l'église d'Agde.

Qu'en était-il  en Roussillon? Ici, pour la Semaine sainte,  les enfants de chœur utilisaient la matraca, planchette munie d’un manche contre laquelle viennent frapper deux autres planchettes sur charnière et peut être aussi le claquoir, planchette sur laquelle est fixée une poignée en métal qui frappe alternativement à droite et à gauche, grâce à un léger mouvement de la main ? Nous ignorons si certaines paroisses leur fournissaient aussi des trompes.
Par contre nous savons qu'à Banyuls-sur-Mer, ces trompes étaient utilisées le Vendredi saint lors du traditionnel vacarme appelé : "patrica-patroca", grâce à l’ouvrage de France Vetterlein-Marsenach et Ulrich Vetterlein, « Banyuls-sur-Mer, quand un village se raconte…» (St-Estève, Les Presses littéraires, 2010)  
                

     "Une tradition rassemblait, autrefois, dans les églises, tous les paroissiens qui assistaient à la messe du Vendredi Saint. A la fin du Chemin de Croix, sur l'ordre du curé, on éteignait les cierges et les fidèles déclenchaient un tapage infernal. Ce tintamarre symbolisait le cataclysme qui marque l'heure de la mort du Christ, selon l'évangile de Mathieu. Ce charivari, qui était appelé, par onomatopée, la "patrica-patroca", était aussi une forme populaire d'expression de colère envers les Juifs déicides. Pour faire ce tapage, on utilisait des instruments divers, entre autre des masses de bois et des bâtons pour frapper le dallage, des crécelles, on entrechoquait des cailloux, comme à Collioure. A Banyuls-sur-Mer, on utilisait aussi de petites cornes de berger en terre cuite appelées "banyes de fer fúger els jueus"  ou "banyes de matar  jueus". À l'origine on sonnait ces cornes pour faire rentrer les troupeaux.
Celles qui sont reproduites ici ont été retrouvées en 1940 dans un mas en ruines de la vallée de la Baillaurie, dans l'arrière-pays de Banyuls.
Suivant les villages, à Banyuls, Collioure, Pézilla, Rigarda, Vernet-les-Bains, dans le Vallespir etc., la tradition de la "patrica-patroca" a été respectée jusqu'en 1945/46 environ."


Les trompes auxquelles il est fait référence (photographies page précédente) sont la propriété de Mme  Espérance de Brimont-Terradeil.
Ci-dessous une trompe de berger enroulée à un tour, que j'ai chinée à Collioure. Je sais pertinemment qu'aujourd'hui, le lieu de découverte est de plus en plus rarement le lieu de fabrication ou le lieu d'usage, mais la proximité avec Banyuls me laisse perplexe.
L x l x H: 14 x 8,5 x 9,5 cm - longueur développée 34 cm - 340 gr  terre rose foncé - engobe blanc


La question qui se pose est alors de savoir si de telles céramiques ont été produites en Roussillon. Sinon étaient-elles importées, et d'où ?
En Espagne, la tradition est conservée dans certaines paroisses, ainsi à Priego de Cuenca, des trompetas de s. santa  en terre cuite sont toujours fabriquées.
En 2010 un potier écrivait :
"Dans le temps, lorsque arrivaient les fêtes de la Semaine sainte, tous les potiers préparaient toute une collection de " trompetas de s. santa "afin que tous puissent faire sonner leurs trompettes lors du passage de la procession qui allait de la chapelle Saint Roque à l'église. J'ai préparé les trompettes, mais aujourd'hui, ce sont seulement les enfants qui demandent à leur parents de leur en acheter" 


L x Ø maxi : 29,5 x 11 cm - 380 gr - terre rose - décor peint - marque au clou: Julian Tarra  Priego

Grand merci à Cédric BLANCH, Conservateur honoraire des Antiquités et Objets d’Art,  qui nous a aimablement indiqué l’existence de cet article (Article rédigé pour la revue interne à l'association locale Terres cuites, dont je suis membre), et communiqué les photos qu'il a réalisé des trompes appartenant à Mme Espérance de Brimont-Terradeil.

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