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vendredi 5 octobre 2018

La fontaine de N. D. du Château

SOREDE : UNE FONTAINE ÉNIGMATIQUE A NOTRE DAME DU CHÂTEAU. Christian Baillet

     Dans une pièce reculée de l'ermitage de Notre Dame du Château, dissimulée dans la pénombre de la sacristie, une minuscule pierre en marbre attire le regard des visiteurs. Fontaine, lavabo, vasque, lave-mains, simple point d’eau ? Il est vrai qu’au premier abord  on  ne sait pas trop comment la nommer !
En l’examinant plus en détails nous pouvons remarquer qu’elle est percée de deux orifices : l’un sous la forme d’une tête sculptée dont la bouche permet l’écoulement de l’eau, et l’autre servant probablement à son évacuation. Des feuilles d’acanthes et des figurines sculptées en relief dans la pierre viennent agrémenter l’ensemble. Au-dessous, une pierre perpendiculaire est curieusement scellée dans le mur. Elle comporte une gorge creusée dans le marbre permettant le ruissellement de l’eau dans ce qui aurait pu être à cette époque, soit une simple cuvette, soit plus probablement cette vasque en marbre située à l’entrée de l’église et utilisée aujourd’hui en guise de bénitier.
Délaissée depuis fort longtemps, ces deux éléments en pierre ont éveillé la curiosité des participants lors d’une opération de recollement(1). A vouloir répertorier ainsi les objets religieux de nos églises, on retrouve parfois des trésors oubliés ! Tel serait peut-être le cas pour cette fontaine pouvant se révéler importante au regard de son histoire ?
En l’absence de traces de dates ou de signatures quelconques, ses origines demeurent difficile a identifier. Essayons néanmoins de partager ensemble quelques pistes de réflexion permettant d’apporter des informations précieuses à son histoire 
Une piscine liturgique
     Il convient d'abord de se poser la question : pour quelle raison un tel objet est placé à cet endroit ? A vrai dire sa présence dans une sacristie n'a rien de fortuit puisqu'il s'agit par définition d'un lieu sacré où l'on « prépare », selon une signification spirituelle, les objets du culte (calices, ciboires, patènes… entre autres) pour célébrer la messe. Ce peut être aussi, le cas échéant, un bassin dans lequel le prêtre se « lave les mains (2) », suivant un acte rituel de purification par l’eau (3) Tout laisse donc supposer que cette fontaine, de par son emplacement et son usage présumé, était un point d'eau nécessaire aux offices religieux (4)
La nature de la pierre, facilement reconnaissable par ses légères veines gris bleu, provient probablement de la carrière de marbre de Céret.
Bien que sa fonction liturgique ne fasse aucun doute, cet ouvrage soulève néanmoins d’autres questions. Sur la technique de fabrication en premier lieu, il n’y a pas de poinçon, de marque d’atelier ou d’autres repères permettant de connaître son auteur. Le style semble simple et classique. Les éléments de relief sculptés sur la fontaine, quoique abimés et inprécis, font ressortir une tête et un animal. Ce peut être tout aussi bien le témoignage d’un simple tailleur de pierre que celui d’un artiste chevronné.
     La pierre patinée par le temps montre quelques altérations, mais ne présente aucun indice d’une quelconque modification ou de restauration. Nous pouvons donc en déduire qu’elle se trouve dans son état originel.

Une  datation toute relative
     En dépit de l’abscence de toutes références, essayons cependant de formuler quelques hypothèses sur les commanditaires ou donateurs, et incidemment tentons d’évaluer sa datation.
Il est possible que cette fontaine ait été offerte par le seigneur de Sorède, Comte de Foix et de Bearn, de son vrai nom, Fransisco-Joan-Ignacia-Bonaventura de Foix-Bearn y Descamps (ou de sa dame dona Joana de Foix y de Vilaplana), afin d’honorer la construction de l'ermitage.
     La chapelle attitrée de ce seigneur, Nostra Senyora d’Ultrera, ayant été détruite (5) en 1675, il ne restait plus qu’au Senyor et à la Senyora de Sureda d’en faire édifier une nouvelle. Ce qui fut réalisé peu de temps après, plus exactement en 1681 (6), non loin de l’ancien sanctuaire sur le territoire de Sureda, avec le soutien des Sorédiens. Et c’est, semble-t-il, à cette occasion que cette fontaine aurait pu être offerte. Un ex-voto, en quelques sortes qui aurait, selon l’Abbé P. Noguès (7) « réparer le mal fait par un parent de la famille ayant voulu la ruine du sanctuaire d’UltrèreSIC ». A la suite de cette reconstruction la femme du seigneur dona Joana de Foix y de Vilaplana obtint la restitution des cloches (8) de l’ancienne chapelle afin de les placer dans le nouveau clocher. 
     Nous ne possédons aucun document relatif à la construction de cet édifice. Néanmoins, par analogie à d’autres ermitages réalisés à la même époque, nous pouvons supposer qu’il s'agit d'une œuvre collective pour laquelle tous les villageois, ainsi que bon nombre de gens concernés par le vœu d’honorer la Vierge, se seraient investis. 

        D’autres mécènes auraient pu participer à cette construction et marquer leur attachement à cette chapelle en faisant don de cette fontaine.             
        On peut citer pèle mêle le concours du chanoine de Vilaplana, mais aussi celui des fabriciens, des ecclésiastiques d'autres paroisses, des membres de la confrérie de « Nostra Senyora del Castell (9) », etc…
     Si ces quelques faits plaident en faveur d’une période donnée, cette fontaine aurait très bien pu appartenir à l’ancienne chapelle de Nostra Senyora d’Ultrera, et dans ce cas sa date de création ne serait qu’aléatoire. Il n’est pas impossible aussi que ces deux objets aient été fabriqués à des époques différentes, compte tenu du style de leurs ornements : d’un côté une cuvette simple sans fioritures, et de l’autre une fontaine de facture plus raffinée avec un décor floral de type baroque.

Une curieuse iconographie
     Un élément iconographique attire l’attention par sa singularité : un animal représentant un sanglier vu de profil. S’agit-il un ornement liturgique, de la  marque d’un tâcheron ou d’un blason ? Dans ce dernier cas, l’identification des armoiries pourrait aider à identifier le commanditaire ou le donateur de cette fontaine. Mais à défaut de toute information nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses :
Les armoiries de la famille de Foix et de Bearn sont à exclure car elles ne correspondent pas à la figure héraldique (la vache) utilisée par la famille de Bearn. Les trois barres sur champ jaune viennent des comtes de Foix. Le sanglier qui se rapproche davantage de cette représentation symbolise en science héraldique un guerrier intrépide et invulnérable (10). En toute logique, cet écu arborant ce cochon sauvage pourrait être celle des armes de François de Vilaplana, le chanoine à l’initiative de la construction de la chapelle ou l’œuvre d’un artisan (un architecte ?) et sa marque de fabrique. Nous ne pouvons pas exclure non plus une représentation, certes plus incertaine mais tout aussi plausible, des attributs d’un saint celtique dédiés à cette fontaine, ou un ex-voto ayant un rapport avec la chasse… Autant de mythes et de symboles auxquels il pourrait se rattacher !
       Enfin dernière hypothèse, la plus improbable, que nous ne pouvons pas éliminer, celle d’un objet culte sans fonction précise, offert en vue d’embellir cette chapelle. 
     L’histoire de cette fontaine ne s’arrêtera pas en 1681, elle se poursuivra encore longtemps dans l'histoire de notre village. Elle connaîtra bien des aléas, entre autre pendant la Révolution qui verra le pillage d’une partie du mobilier de ses trois églises, puis en 1905 où certains objets seront soustraits de l’inventaire. Par chance, cette fontaine échappera à toutes ces péripéties.  
     Cette riche histoire autour de cette heureuse découverte mériterait probablement plus d’explications. Encore faudrait-il se plonger plus amplement dans les archives paroissiales ou s’attacher l’expertise d’un spécialiste en art religieux. 
Retenons seulement à son sujet, que se sont parfois de simples objets qui offrent souvent le plus d’intérêt. Leur apparence semble si anodine que l’on n'y prête pas toujours attention. Et pourtant, en y regardant de plus près, pour qui sait les voir à travers le prisme de l’histoire, on s’aperçoit que chacun d'entre eux possède sa propre histoire et une valeur immatérielle qui n’a pas toujours livré tous ses secrets. 
 Photos : Vasque en marbre faisant office de bénitier. - La fontaine très énigmatique ? - Blason de la fontaine. Exvotos de remerciement couvrent quelques espaces de la chapelle.

[1] Récolement  quinquennal des objets  classés et inscrits (article L-622-8 livre V du code du patrimoine). Opération qui consiste à vérifier les  objets et le mobilier en vue de leur protection et de leur conservation
[2] Règles établies au concile de trente en 1545. La pierre comporte une date : 1683.
[3] Aujourd'hui encore, l'eau souillée doit être  éliminée dans la terre suivant les recommandations de l'épiscopat
[4] Etait-elle alimentée par une source ou par un approvisionnement sous la forme d’une citerne ? La question reste entière étant donné l’absence d’autres informations
[5] Sur ordre des commandants Le Bret et Schonberg et de Joana de Vilaplana, afin d’annuler la juridiction qui pesait sur ce château par l’archidiacre du Vallespir
[6] L’inauguration a lieu le 7 septembre 1681 avec remise de la statue de la Vierge, laquelle avait été temporairement mise à l’abri dans le village
[7] Auteur du livre « Histoire de N.D. du Château »
[8] Moyennant la somme de 20 dobles au près des officiers de l’artillerie. La grande cloche porte le millésime de 1621
[9] Créée en 1682 ref : ADPO C1886
[10]  D'après le Manuel héraldique ou Clef de l'art du blason » (Avertissement) par L. Foulques-Delanos, Limoges, oct. 18

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