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mercredi 14 octobre 2020

Sur le Camp d'Argelès. Souvenirs

 LES PETITS AVIONS D'ARGELÈS-SUR-MER. Pierre Fuentès.

     Dans la vie on trouve une explication à tout. Il faut seulement attendre le bon endroit, le bon moment et la bonne personne pour connaître la réponse.
Au début du siècle et sans doute avant la guerre de 14, il y avait dans le secteur du camp d’Argelès un terrain de tir où les militaires venaient s'entraîner et essayer les derniers modèles de fusils.
Les tireurs devaient se mettre du côté de l'actuelle route du Littoral et tirer en direction de la mer. On trouve enterrées dans le sable, sur une bande de plusieurs dizaines de mètres trois sortes de balles : une grosse en plomb, une normale en cuivre avec l'intérieur en plomb et une spéciale longue et effilée comme une fusée qui trouvait facilement son chemin dans le corps de l'ennemi. Celle qui nous intéresse est la grosse en plomb. Quand la tramontane souffle et qu'elle soulève le sable, les projectiles restent en surface. Encore aujourd'hui, malgré les nombreux nettoyages mécaniques de la plage en été, on peut voir de nombreux projectiles. On trouve rarement, mystérieusement sorti du sable un tout petit avion en plomb.
    

L'avion provient de cette fameuse balle qu'on a fait fondre. Il mesure de 2,5 cm à 3 cm pour une envergure équivalente. Il est en relief, c'est à dire que le dessus représente bien l'appareil mais le dessous est plat car il sortait d'une simple moitié de moule. On faisait couler le plomb liquide dans un trou du moule avec la forme du dessus de l'avion. Il s'agit presque toujours de mono moteur avec l'hélice en bout de nez, il me semble avoir trouvé un jour un bimoteur. En quelques années j'ai peut-être sorti une quinzaine de ces avions.
     J'ai toujours pensé que ces "jouets" sortaient du camp de concentration d'Argelès, mais pourquoi et à quoi servaient-ils ? En examinant les plans du camp, on s'aperçoit que le secteur d'internement des aviateurs correspond bien à l'emplacement de l'actuel Camping Roussillonnais, ce qui explique que les avions se trouvent à cet endroit. En septembre 1999, lors de la commémoration "Argelès n'oublie pas la Retirada et les camps de 1939" j'ai connu des personnages extraordinaires dont le Camarade José de Toulouse. Avec sa petite fille il est venu passer la semaine chez nous, on les voyait partout et avec tout le monde, ils étaient ici chez eux. José tout enfant, en 1939 s'est retrouvé avec sa mère enfermé dans le camp d'Argelès. Il m'a raconté que souvent il allait voir les internés aviateurs pour demander un peu de nourriture et m’a parlé des avions.       

Inauguration du Mémorial du Camps avenue de la Libération à Argelès-sur-Mer, au premier plan A. Parra maire d'Argelès
J’ai alors compris que je venais de trouver la bonne personne, au bon endroit et au bon moment… presque quatre-vingt ans ans après.
     Ces hommes allaient au coin cuisine où se trouvaient d'immenses fours qui servaient à cuire la nourriture. Dans une vieille boite de conserve ils faisaient fondre quelques balles en plomb. Auparavant, dans une brique ils avaient creusé avec une pointe ou un couteau la forme d'un avion. Une fois le plomb fondu, ils versaient le liquide dans la forme du moule dans la brique. La boite retournait sur le feu et les avions sortaient à la chaîne. Chaque groupe avait son modèle d’avion. On donnait ensuite un coup de lime ou de couteau au modèle brut de fonderie pour le rendre présentable. Souvent les avions étaient portés en broche. Je pense qu'il s'agissait là d'un passe-temps nostalgique des internés du camp de l'aviation.
     Le Camarade, José possède encore la broche en plomb de sa maman qui représente un petit avion construit dans le camp d'Argelès. Quand il m'a raconté son histoire, j'ai cherché chez moi et j'ai retrouvé les trois modèles de balles, trois petits avions et un dé à jouer en plomb. Le soir j'en ai fait cadeau à José, quand j'ai vu son étonnement et ses larmes, je me suis retiré.José n'était plus là, il avait rejoint les foyers des cuisines du camp où des hommes tristes fabriquaient des avions en plomb, les avions qui avaient tant fait défaut à la République pendant la guerre civile.

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