De Cerbère au Pic Neulos et de la Tour Massana au Boulou. Histoire, Patrimoine monumental et Naturel. Vie quotidienne. Événements. Revues et Livres. Littérature. Gastronomie et Vins.

mardi 29 septembre 2020

Passages antiques des Albères

LE COL DE BANYULS, LE COL DE LA MASSANE, LE COULOIR DU PERTHUS VOIES ANTIQUES DES ALBERES Bernard Rieu

Les itinéraires antiques et médiévaux pour franchir les Albères. Étude parue dans le numéro 29 de la revue Massana-Albera, en décembre 2009.

Les principaux itinéraires de franchissement de la partie orientale des Pyrénées, appelée  Albera - Albères, ont varié au fil des millénaires, selon les besoins de chaque époque. Le sujet a déjà fait l’objet d’un article de Pierre Ponsich (1) avec qui nous avons travaillé sur les textes et sur le terrain dans les années 1980 -1990, pendant la période de restauration de la tour de la Massane, construite pour surveiller l’un de ces passages.

La voie la plus ancienne mentionnée dans les textes est celle dite « Héracléenne ». Elle porte le nom d’Héraclès (Hercule en latin) car la légende raconte que le héros aurait suivi ce parcours pour ramener en Grèce le  troupeau de bœufs du géant Géryon qu’il avait terrassé au Sud de l’actuelle Andalousie. Le géographe grec Polybe (202 – 120 avant JC) qui avait parcouru cette voie,  précise que « les Romains avaient érigé des bornes de huit stades en huit stades » et que la distance d’Empúries à Narbonne était de  600 stades.

En fait, ce chemin servait d’alternative terrestre pour relier les comptoirs maritimes que les Grecs phocéens, dont la base principale se trouvait à Marseille, avaient établis à partir du VIe siècle avant JC le long du rivage de la Méditerranée Nord occidentale, ainsi que les villes des autochtones avec lesquels ils commerçaient. Ainsi, pour aller d’Empúries (Emporion) à Pyrène (Collioure ?), Illiberis (Elne), Ruscino (Château Roussillon) et au-delà vers Agde… l’itinéraire ne faisait pas un détour par Le Perthus, mais empruntait les passages proches du rivage. De plus, on sait, grâce à Xénophon, que les Grecs redoutaient de perdre de vue  « thalassa » (la mer) dans leurs périples terrestres.

LE COL DE BANYULS

Le détour par Cerbère et Port-Bou, nés à la fin du XIXe siècle avec l’arrivée du chemin de fer, étant aussi inutile, le passage le plus facile  se situait donc à l’actuel col de Banyuls (360 m) la voie continuant ensuite vers le Nord, en direction de Collioure et d’Argelès par le col de Vallauria et la vallée du Ravaner. Elle est jalonnée par deux oppida protohistoriques, celui du Rimbaud connu actuellement sous le nom de « rocher d’escalade » et celui  qui se trouve en aval des « tubes »  permettant à la déviation Argelès – Collioure de la D914 de franchir le Ravaner. Il faut rappeler qu’au Moyen âge, les comtés du Roussillon et d’Empúries ont longtemps été réunis sous l’autorité d’un même comte et que le massif n’était pas le désert humain qu’il est devenu aujourd’hui, mais abritait une population relativement nombreuse sur les deux versants. 

Dans la plaine, le tracé est beaucoup plus difficile à retrouver, car les crues du Tech et des autres fleuves côtiers ont déposé d’épaisses couches de limon qui ont recouvert  d’éventuels vestiges antiques. Les spécialistes s’accordent à dire que de Salses à Illiberis – Elne, en passant par Ruscino, la voie littorale s’était confondue avec la Via Domitia qu’a fait construire à partir de 118 av JC le proconsul romain de la Narbonnaise, Cneus Domitius Ahenobarbus dont elle a pris le nom. Au niveau d’Elne, le rameau principal de cette Via Domitia obliquait vers l’Ouest afin d’emprunter la trouée du Perthus. Cependant, elle ne passait  pas par l’actuel col du Perthus, mais par un autre passage situé à l’Ouest de la colline de Bellegarde, le col de Panissars. C’est là qu’en 71 av JC, Pompée édifia un monumental trophée portant le nom des 886 oppida qu’il avait conquises en Narbonnaise et en Hispanie. Au-delà de Panissars appelé alors « Summum Pyrenaeum » la voie romaine portait le nom de Via Augusta.

LE COL DE LA MASSANE

Un troisième itinéraire plus central  remonte la vallée de Lavail (la vall de Sant Martí - Saint Martin  en catalan) où coule la rivière Massane sur les territoires actuels d’Argelès et de Sorède. L’entrée de la vallée est gardée par le château d’Ultrera dont le nom est cité en 673 par Julien de Tolède parmi les forteresses prises par l’armée du roi wisigoth Wamba, lors de son expédition contre le duc Paul de Septimanie. L’itinéraire oblique ensuite vers le coll del Pomer ou celui de la Bena, passe sous la tour de la Massane (construite vers 1290) pour rejoindre des cols de la ligne de crête des Albères (Tarrès et Carbassera) situés à près de 1000m d’altitude. C’est par là, que sur les indications de l’abbé du monastère bénédictin de Saint André, est passé en juin 1285, le roi de France Philippe le Hardi, accompagné de ses fils Philippe le Bel et Charles d’Anjou, ainsi que du cardinal de Cholet, légat du pape, pour envahir la Catalogne et les autres états du roi d’Aragon Pere el Gran (Pierre le Grand). Ils étaient accompagnés d’une importante armée de croisés qui avaient reçu la bénédiction du pape Martin IV. L’un des problèmes majeurs à résoudre a été de localiser le col de la Massane, cité par des chroniqueurs  médiévaux comme Ramon Muntaner et Bernat Desclot qui le présentent comme un passage très difficile. Or, le col qui porte actuellement ce nom sur les cartes, est très facile à franchir, car il se trouve sur une partie aplanie de la crête des Albères. Nous avons proposé (Massana N° ) de localiser le col médiéval portant le nom de Massana au Pas Estret, situé dans la partie supérieure du Roc del Corb. Pierre Ponsich faisait aussi remarquer que cet itinéraire était jalonné de plusieurs églises dédiées à Saint Martin (de Tatzó, de Montbram, de Bausitges, de Peralada, d’Empúries) alors que celui du Perthus en compte deux (Fenollar et Forn del Vidre)

LE COULOIR DU PERTHUS

Au temps de la marche à pied et des animaux de bât, d’autres passages étaient empruntés pour passer du Roussillon en Ampourdan. Ainsi un chemin permettait de remonter la vallée de la rivière de Sorède, qualifiée aujourd’hui d’heureuse. Il  traversait et desservait un alleu (propriété franche de toute redevance) de l’abbaye de Saint André dont on possède un très intéressant acte de donation par le comte du Roussillon Gaufred, daté de 1143. Ce texte mentionne une église Sainte Marie Madeleine « de Vesa » ou « de Veda »dont il ne reste aujourd’hui que des ruines. Sur le versant Sud, le chemin redescendait ensuite vers Requesens. C’est vers ce lieu, doté au XIe siècle d’un château reconstruit au XIXe, que se dirigeait aussi le chemin passant par Saint Martin de l’Albère et le coll Forcat. De Requesens, il était ensuite possible de se diriger dans de nombreuses directions. Les habitants du Roussillon avaient ainsi de nombreuses possibilités pour  franchir les Albères sans faire de grands détours, mais aujourd’hui, la circulation des personnes et des marchandises se concentre de plus en plus dans le  « couloir » du Perthus qui a récupéré la nouvelle ligne ferroviaire et même la THT… en attendant l’aqueduc du Rhône à Barcelone !

(1) Pierre Ponsich : « Les voies antiques de Roussillon en Empourdan à travers la montagne de l’Albera » dans le 100e volume d’études sur le Roussillon de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées - Orientales. 1992.  Photos M. Capeille.

Aucun commentaire: