De Cerbère au Pic Neulos et de la Tour Massana au Boulou. Histoire, Patrimoine monumental et Naturel. Vie quotidienne. Événements. Revues et Livres. Littérature. Gastronomie et Vins.

jeudi 11 octobre 2018

Les oubliés de l'histoire

PAULILLES : LES OUBLIES DE L’HISTOIRE. Olivier BRUNEL

     Ils s’appelaient Lê Duong, Lê Van Lai, Pham Hun Nung, Vo Tan, Nguyen Loï, Lê Haï, Than Sanh. Agés de 20 à 43 ans, ils étaient Annamites. Morts pour la France à la dynamiterie de Paulilles durant la première Guerre mondiale, ils ont fait partie des oubliés de l’Histoire jusqu’en septembre 2012 et la pose d’une plaque en leur mémoire.
Afin de mieux comprendre cette injustice, remontons au préalable le fil de l’histoire jusqu’aux soubresauts planétaires du début du XXe siècle.

                                                Une histoire intimement liée à l’Histoire
     En 1914, Paulilles, situé entre Port-Vendres et Banyuls-sur-Mer, n’est pas encore le site classé dont les plages attirent chaque été plusieurs dizaines de milliers de vacanciers. Bien loin de cette image de carte postale, l’anse abrite dans sa verdure une dynamiterie.
     Cette dernière a vu le jour après le traumatisme de la bataille de Sedan qui, le 2 septembre 1870, a entraîné la chute de Napoléon III et attisé la haine entre France et Prusse.
A des centaines de kilomètres du Rhin et des frontières séparant son pays de l’ennemi héréditaire, François-Paul Barbe, ingénieur des Mines, construit une dynamiterie sur ordre de Léon Gambetta, ministre des armées et de l’intérieur. L’usine doit permettre l’exploitation sur le sol français du brevet de Nobel, chimiste, industriel, fabricant d’armes suédois et père du célèbre prix portant son nom.
Le succès est immédiat et l’essor fantastique à partir de 1875, année du lancement de la commercialisation de la dynamite à titre civil.
Dès l’aube de la première déflagration mondiale, l’installation tourne à plein régime pour fournir à l’artillerie française la poudre détonante utilisée durant les combats qui dévastent le nord du pays.
     Mais dans les Pyrénées-Orientales comme dans toute la France, la guerre prélève son dû en êtres humains. De nombreux ouvriers sont obligés de troquer les outils contre un fusil et rejoignent le front.
Morts pour la France
Pour les remplacer, le gouvernement se tourne vers l’Espagne voisine, mais aussi ses lointaines colonies, et particulièrement la province asiatique de l’Annam. La main d’œuvre y est embauchée, de gré ou de force, par l’armée française. Logés dans des conditions précaires, employés à des fins militaires, les réquisitionnés doivent, par des brassages et des lavages successifs, débarrasser le coton azotique des impuretés pour obtenir la précieuse poudre : un labeur pénible, dangereux, avec des risques fréquents d’explosions ou d’inflammations.
Au final, ces travailleurs vifs, agiles, mystérieux au regard des ouvriers « occidentaux », sont plutôt bien accueillis sur les bords de la Méditerranée.

Victimes d’accidents, certains d’entre eux ne reverront jamais leur patrie d’origine. Et même après leur tragique décès, un halo de mystère continue d’envelopper ces Annamites enterrés à proximité du cimetière de Cosprons, sur les calmes hauteurs de Paulilles : aucune plaque ou stèle ne rappelle le passage de « ces drôles de petits hommes jaunes coiffés de curieux chapeaux en forme d’arapèdes » morts pour la France (dans Les dames de Paulilles, Nicole YRLE, Cap Béar éditions, page 47)
Il ne subsiste uniquement sur eux que quelques bouts de papier sauvés de la machine administrative : des actes de décès officiellement enregistrés entre 1916 et 1918 à la mairie de Port-Vendres ; des télégrammes de la gendarmerie locale qui font régulièrement état d’accidents dont ils sont victimes.
L’oubli s’achèvera presque un siècle plus tard.
Le temps de la reconnaissanc
Première étape – timide - le 11 novembre 2008 : secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants, Jean-Marie Bockel adresse aux communes une lettre dans laquelle il rend hommage à la colonie d’Indochine pour sa participation « méconnue » au premier conflit mondial.

Mais au niveau local, l’initiative marquante survient le 12 septembre 2012 au cimetière de Cosprons avec la découverte d’une plaque commémorative en hommage aux Annamites. Ce geste fort est organisé par le Conseil municipal des enfants de la Ville de Port-Vendres, une instance qui réunit 16 jeunes scolarisés en CM1-CM2, à l’école Pasteur.
Erigée au pied de la chapelle de Cosprons, la plaque, d’une taille respectable (120 cm sur 75 cm) est en marbre, couleur brun baltique. Elle est le fruit d’un long travail de mémoire : les conseillers ont rencontré des acteurs locaux qui ont témoigné sur la vie du site de Paulilles (Culture et patrimoine en Côte Vermeille ; Association nationale des anciens et amis d’Indochine ; habitants de Cosprons, élus). Des séances de travail ont permis de recueillir les précisions nécessaires sur l’histoire des Annamites.
Un bel exemple d’action citoyenne.  


PAULILLES. L'USINE NOBEL.  Armand Aloujes   
      Un jour, les forces de la nature, décidèrent de créer un vrai site enchanteur, et unique par sa beauté, où le bleu de la mer, se marie avec celui du ciel, dans son immense rade. C’est  là, tout près, sur notre Côte Vermeille, entre Port-Vendres et Banyuls-sur-Mer. Non ! Ce n’est pas une grande ville, un beau monument, un lieu qui comblerait la curiosité des touristes, à la recherche de l’extraordinaire ! Non, mais un bel endroit, que la nature a voulu nous offrir. Loin de toute activité urbaine, site, où quelques fermes émergent des vignes et vergers, formant un verdoyant décor, sur ses gradins, autour de la rade. Il fut un temps, où quelques prairies ou garrigues accueillaient chèvres et moutons, en ces lieux, riches et féconds. Quelques bosquets de pin- parasols, agrémentaient ce décor, faisant abri à jardins familiaux. Tandis que sur le sable des plages, canots et barques, lézardaient au soleil, après une nuit de pêche ! Plus loin, à quelques encablures, sur les flancs de la Madeloc, le hameau Cosprons, abritait et abrite encore aujourd’hui, une modeste population. Fervents et amoureux de la nature, viennent goûter là, la tranquillité des lieux, ou encore, des ouvriers agricoles, qui logent ici, près de leur lieu de travail. En somme, un coin magnifique, où il faisait bon vivre : Joies de la pêche, tranquillité des plages, promenades et excursions, parmi les sentiers et pistes, recherche de plantes et fruits sauvages et certains mollusques, sur les rochers du Cap Béar, au Cap Ouillastreil. A quel autre paradis, pouvait-on trouver mieux ?
  
    Mais voilà qu’un beau jour, le ciel s’est obscurci. Un groupe  d’individus, qui, sans rien demander, visitèrent tous les coins du domaine. Qu’est-ce qui pouvait tant les intéresser ? Après plusieurs visites et grandes discussions, le verdict tomba ! Ils vont faire de ce paradis, un enfer ! Imaginez la situation, dans ce lieu si calme et serein, il fut décidé de construire une usine ! Mais pas n’importe laquelle, une usine où l’on fabriquerait de la dynamite ; Rien que ça. Mais pourquoi ici ? Nous sommes en 1870 et toujours en guerre avec notre voisin du Nord. Il aurait été imprudent de construire cette usine, tout près de ce pays, et la décision de la construire ici s’avérait donc plus prudent. Oui, mais ! Que va devenir le site. Car ce produit est très dangereux, et faut-il faire confiance à son inventeur Alfred Nobel ?

Dangereux ou pas, l’usine se construit et ouvre ses portes en 1875.

     Pour en arriver là, tout a été chamboulé : Le relief, le décor, le torrent le Cosprons a été dévié, on a construit des immenses hangars, ateliers, installé des citernes pour acides, réseaux sous-terrain de câbles et tuyaux, creusé d’énormes puits, mis au point des machines dans divers endroits de la dynamiterie, prévu une multitude de détails affectés à la sécurité ; Rien de ce côté, n’a été laissé au hasard. Bref ! L’homme a réussi à vaincre  cette nature, qui nous était si chère, pour satisfaire ses besoins. Là, où il y avait tranquillité, ce n’est que bruits de toutes sortes, cris, chahuts, va et viens des personnels ; Mais cela a l’air de marcher, et malgré quelques accidents graves, la production se développait et il fallut constamment embaucher. Au moins cela aura servi à quelque chose. Le personnel, en majorité agricole, a dû se reconvertir, pour faire marcher des machines, qui leur étaient inconnues
      Les deux grandes guerres, n’ont pas arrêté la fabrication, au contraire et dans les années 50, l’usine comptait, jusqu’à 250 employés, pour une fabrication de 10 tonnes par jour ! Pour
Arriver à 20 T / J, après mécanisation (voir Massana N° 29) avec 100 employés seulement.
Qui aurait cru cela, il y a un siècle ?   Pendant que la fabrication battait son plein, une autre activité, annexe, dans le site de l’usine se crée. C’est le placage des métaux par explosifs (voir le livre, L’Amic Paulilles ; la mémoire ouvrière, page 44). Dès 1973, Le marché de l’explosif est en récession !  C’est le début de la crise économique. Des signes précurseurs laissent prévoir le ralentissement de la production, et par voie de conséquence, la diminution des personnels. En 1984 l’activité de la dynamiterie, s’arrête définitivement. A Paris, la direction  souhaite concentrer la fabrication, dans une seule usine, qu’elle possède à Ablon (Calvados). Les hauts responsables en avaient décidé ainsi ! Certains employés ont été embauchés à l’usine de Sorgues, D’autres sont partis en préretraite, d’autres encore aux chômages. Ainsi, s’arrêtait cette activité, qui pendant des décennies, avait donné du travail, dans une région orientée vers la viticulture ou la pêche. Les machines de Paulilles, ont été transférées à Ablon et les installations restantes, démolies et brûlées. Avec les quelques employés qui restait, le directeur Monsieur Fabre, mettait toute son énergie, pour développer au maximum, l’activité placage, toujours dans l’espoir, que les responsables du siège, maintiennent cette activité à Paulilles ! Pour cela, tous les services annexes de l’usine, ont été regroupés autour de l’atelier placage, et réaménagés dans le grand local, qui servait de magasin, où étaient entreposés accessoires et objets divers. En plus des employés du placage deux autres ont eu la chance de rester sur les lieux : C’était l’ajusteur fraiseur et le menuisier. L’un, pour la préparation des échantillons-placages, et l’autre pour mettre le grand local en bon état, et y aménager, ateliers, bureaux, vestiaires, réfectoires, accueil, laboratoire, infirmerie etc…Bref ! A voir tous ces travaux, on ne pouvait imaginer, qu’on devrait abandonner le site.

Des projets, mais lesquels ?
      L’idée du directeur, était de montrer notre attachement à Paulilles, malgré les rumeurs, et faire voir notre détermination ; Mais, l’attitude de notre patron, n’a pas du plaire aux gens du siège, et sa mutation est intervenue, pour être affecté à Toulouse, à l’usine Tu net (cartouches de chasse). C’est alors, qu’un certain spécialiste de l’immobilier, M. Méry, s’intéresse au site et intervient sans vergogne, dans le lieu-dit ’’ Les arbres blancs’’ pour sonder le terrain, à coups de pelles mécaniques. Heureusement ! Son projet de port, n’a pas eu lieu. Est-ce un bien, est-ce un mal ? L’avenir nous le dira. ! Ce projet, montre à quel point le site était tant convoité. Désormais, la voie était libre, pour transférer le placage au camp de Rivesaltes. Ce qui a été fait et terminé fin août 1991, jour, où j’ai eu le triste honneur de remettre les clés de l’usine à M° Dubuis, directeur par intérim.
    Ainsi, après la dynamiterie, le placage disparaissait de notre chère usine, et c’est avec un pincement au cœur, que l’on évoque cette période de la vie ! Malgré tous ces travaux d’entretien et de réfection, qui ont duré plusieurs années, nous avons dû partir. Laisser à l’abandon notre outil de travail, à certains intrus, puis aux démolisseurs, Qui ont fait disparaître ce grand bâtiment, dont M° Fabre, s’était fait l’obligation de le rendre plus beau, plus accueillant, afin d’essayer de convaincre les décideurs, de l’intérêt, de l’attachement, que nous avions à cette usine, à cette terre, à ce coin perdu, loin des brumes du Nord, mais dans notre belle Cote Vermeille. Hélas ! Rien n’a pu les convaincre ! On comprend aisément, les raisons qui ont poussé les responsables, à transférer cette activité à Rivesaltes « Raisons financières, mais aussi pratiques =Proximité de l’autoroute (tout le transport se fait par camions), de l’aéroport, voie ferrée, site de Tautavel (où se produisent les placages par explosifs, dans une carrière abandonnée) Il est évident que Paulilles ne pouvait pas offrir toutes ces commodités.  Le personnel-placage, la majorité de Banyuls, y a été maintenu. Il n’y avait pas de moyen de transport, mais les choses ont dû changer depuis ! Cette nouvelle activité a tenu ses promesses, le travail s’y maintient toujours. Que doit penser M° Fabre de tout cela, dans son exil forcé, lui, un des principaux acteurs de cette technologie ?

Fin tragique de « Notre » lieu de travail !
     Pendant ce temps, à l’usine d’Ablon, ça tournait à plein régime. Pour compenser la production manquante de Paulilles. Mais, comme un malheur n’arrive jamais seul, une violente explosion a emporté une bonne partie de l’usine, avec un certain nombre de cadres, y compris le Directeur, M° Rubier (ex sous-directeur de Paulilles) ! Le mauvais sort, se serait-il abattu sur la Nobel ?
     Cette période évoquée, est celle que nous avons vécue, durant les dernières années de l’usine. Personnellement, J’ai pris ma retraite et n’ai pas souffert du chômage dû à la fermeture. Ces derniers temps, j’ai pris part modestement, à la remise en état de ce fameux local (j’étais le menuisier). Pour le patron c’était un gage de volonté pour le maintien dans ces lieux. C’était une façon un peu naïve d’exprimer notre attachement, au peu d’espoir qui nous restait. Simples pions sur l’échiquier, nous n’avons pas pu, hélas ! En savourer les effets.
Las ! L’abeille a quitté sa ruche ! Les bourdons, ont profité du peu de miel qui restait

Et pour conclure…. Quels  qualificatifs, pourrait-on ajouter, à ce que fut « Notre » usine ?
     Je dis, notre usine, comme si elle nous appartenait, à nous, les anciens.
En fait, ce sont les souvenirs de cet important passé, qui nous appartiennent, et qu’il nous appartient de les communiquer aux profanes ! Pourrait-on dire, que le site a été embelli ? Il était déjà beau ! Qu’on a remis le décor, dans l’état qu’il était il y a cent ans ? Difficile à croire ! Bien sûr, on a démoli les vieux locaux. Plus de trace d’un passé récent, si ce n’est, quelques ateliers retapés, où l’un d’eux, sert à la construction de barques catalanes, tout cela à l’ombre d’une cheminée, qui est là pour nous rappeler son ancienne activité. On a planté de beaux arbres, dressé de belles haies, crée des parkings, aménagé des sentiers et des pistes pour l’accès aux plages, remis à neuf la belle bâtisse, qui servait de demeure aux directeurs, qui se sont succédés à l’usine  Tout cela, et ce n’est pas rien, avait pour but, de développer, dans ce coin de la Côte, un autre site touristique. On pourrait s’en réjouir si cela créait assez d’emplois, le long de l’année  Mais il est une chose, que l’on a oublié, volontairement ou non ; c’est celle de l’aménagement de ce que fût, l’âme de l’usine, le centre de la fabrication des produits ; En fait : La Dynamiterie !
      Les promeneurs seraient sans doute intéressés, de voir dans quelles conditions on fabriquait la dynamite, les trajets parcourus, les étapes successives, le cheminement des matières premières et leurs utilisations, les soucis permanents pour la sécurité, tout cela illustré par des photos, ou maquettes. Montrer aux touristes ce décor un peu particulier, dans lequel  les ouvriers et ouvrières évoluaient, et en faire recréer l’ambiance. Si , cette sorte de musée, pouvait se réaliser, ce serait l’aboutissement de ce que l’on pouvait souhaiter, surtout pour tous ceux qui ont vécu dans ce milieu, en montrant que cet endroit, n’a pas été toujours, un lieu  de rêve et de loisir, mais un lieu  de travail, où l’individu a dû trimer et souvent au détriment de sa vie.  Si les responsables, ont hésité à le faire, c’est sans doute, pour ne pas faire de la publicité pour un produit dangereux et donner aux visiteurs un sentiment de morosité, eux, qui viennent surtout ici, pour la détente et loisir. Deux visions, difficiles à concilier… ! Hélas ! Ce n’était pas du chocolat !…

1 - Photo M.C cliché de Paulilles de nos jours.

2 - Photos : Archives A. Aloujes - Personnel de placage - Inauguration des nouveaux locaux en 1986. Debout de g à d. Beghin B(ajusteur), M. Dubuis (sous-directeur), Seret (découpage), M. Fabre (directeur), Rodriguez (placage), Aloujes A. (menuisier), Rimbeau F. (responsable tir), Jean R. (placage), Gardiola (chauffeur), Solane (découpage), Lluis (préparation tir), Mariotti (responsable atelier préparation placage), Barnéda (ponceur), Gonzalez (placage), Carpentier (comptable), Ouillet Angèle (secrétaire), Coll Janine (cantine), Llassat (manœuvre) avec son chien.

3 - Archives A. Aloujes - Une partie du personnel en 1982. Fête de la Sainte-Barbe. Debout de g à d. Coste A. (grand blessé de l’explosion de 1958), Malaprés (responsable pétrisseur), Astruc (pétrisseur), Salettes (comptable), Beltrand (pourvoyeur), x... (Ouvrier pétrisseur), Chèle (pourvoyeur), Gardiola (chauffeur).
Assis de g. à d. Aloujes Armand (menuisier), Llassat (pétrisseur), Cachet G. (responsable pulvérulents), Planes A. (emballeur).

Aucun commentaire: