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jeudi 11 octobre 2018

Laroque des Albères - La Roca

SEIGNEURS DE LAROQUE : DES PERARNAU, AUX DE SARDA, ELEMENTS BIOGRAPHIQUES. 

Martine Camiade et Jean-Pierre Lacombe-Massot.
          Le 9/09/1624, Gaspar Galceran de Castre Pinós, vicomte d'Evol et comte de Guimerà, vend à Hieronim Perarnau la seigneurie de Laroque que sa famille possède depuis 1436. Cette transaction marque une rupture : après être restée plusieurs siècles aux mains de la noblesse d'épée, elle rejoint celles de la bourgeoisie d'affaire qu'incarne la famille Perarnau. Cette dernière conservera la seigneurie en ligne directe jusqu'au décès, sans enfant, de Domènec de Perarnau en 1746 ; la seigneurie passera ensuite au lignage collatéral des de Sarda jusqu'à la Révolution française.
 
Sebastià Perarnau
     Les Perarnau sont originaires de Baixas où au XVIe siècle Antoni fait partie des paysans aisés, les pagès. De son mariage avec Elisabet naissent, entre autres, trois fils : Francesc reprendra la propriété familiale, Josep deviendra curé de Saint Jean à Perpignan et Sebastià rejoindra lui aussi le chef-lieu roussillonnais pour y exercer le commerce de tissus, "botiguer de teles". Les données le concernant sont rares mais laissent entrevoir une ascension rapide dont la première marche est son mariage, en 1581, avec Antonia Davit, fille d'un autre "botiguer de teles". Le contrat de mariage[1] prévoit que les nouveaux époux seront hébergés par le père de la mariée et jette les bases d'une association commerciale entre Sebastià et son beau-père Antoni qui s'engagent à créer une société "companya", ayant pour objet la vente de tissus et d'étoffes dans une maison mise à disposition par Miquela Davit. Sebastià y apportera en outre le blé, le vin et l'huile qu'il reçoit de son frère Francesc, ainsi que les produits d'autres activités commerciales.
La seconde marche, et non des moindres, est l'intégration de Sebastià dans le cénacle de l'Inquisition. Le 29/06/1589, dans le Real Palació de la Inquisicion de Barcelona, il est nommé "familier du Saint Office", charge réservée aux laïcs consistant en un rôle d'informateur, d'espion au bénéfice de la sinistre institution. C'est une fonction prisée en raison des droits qu'elle confère comme celui de porter les armes ou d'être exonéré de certains impôts, mais aussi du respect et de la crainte qu'elle inspire.
     Quelques années plus tard, Sebastià Perarnau est à nouveau associé dans une botigua de teles, cette fois avec Michel Bosch[2], autre "familier" du Saint Office. Ils revendent leur boutique en 1605 et poursuivent leur association dans le commerce du blé[3].
     Les efforts de Sebastià pour se hisser au sommet de la pyramide sociale se voient couronner par l'entrée, en 1614, dans la caste elle aussi très courtisée des bourgeois honorés - burgesos honrats - de Perpignan.
     De son union avec Antonia sont nés Victoria et Hieronim.

Hieronim Perarnau Davit (†1660)
     Hieronim suit les traces de son père et embrasse la carrière de marchand. Il se marie en 1610 avec Catarina Joli, la fille d'un pagès de Villelongue-dels-Monts qui apporte dans la corbeille ses nombreuses propriétés au piémont de l'Albera. Ils ont un fils Josep.

Catarina décédée jeune (en 1616), Hieronim se remarie quatre ans plus tard avec Maria Riu de Puigmaria d'une famille de bourgeois honorés qui lui donnera deux autres fils, Sebastià et Hieronim Perarnau Riu, futur archidiacre du Vallespir.
Ses activités commerciales s'exercent entre autres dans le lucratif commerce du fer. En mars 1621, avec son père Sebastià (décédé peu après), il en achète[4] à Pere Delfau, négociant d'Olette et à Francesc Labarta de la Bastida.
     En 1624, l'investissement est plus conséquent puisqu'il s'agit de la seigneurie de la Roca dont Hieronim fait l'acquisition auprès de Gaspar Galceran de Castre Pinós. Comment la relation entre le vicomte d'Evol devenu comte de Guimerà membre de haut rang de la noblesse catalane et lui le bourgeois de Perpignan s'est-elle nouée ? Nous l'ignorons. Peut-être les relations de son père Sebastià au sein de l'Eglise et de l'Inquisition ont-elles joué ? En effet deux grands oncles de Gaspar Galceran figurent au zénith de la hiérarchie catholique espagnole : Francesc de Borja (frère de sa grand-mère maternelle) sera béatifié par le pape Urbain VIII en 1624, et son frère Tomàs de Borja, était consultant de l'Inquisition romaine depuis 1571 avant de devenir archevêque de Saragosse en 1603...
     Le rachat de la Roca ne change rien aux habitudes de Hieronim qui continue ses affaires à Perpignan où il habite dans la demeure familiale de la Plaça Nova (Place des Poilus).
Le 28/02/1625, il est fait chevalier par le roi d'Espagne Philippe IV[5].

Le mariage de sa sœur Victòria avec Andreu Bosch, docteur en droit et bourgeois honoré (de la famille de Miquel Bosch, l'associé de Sebastià) sera conséquent pour l'avenir de la famille. En effet, les deux enfants qui naîtront de cette union, Antoni et Clara, décèderont et l'héritage de Victòria Bosch Perarnau, composé de nombreux biens (maison, mas, cortal, terres) à Ille-sur-Têt, sera dévolu à Hieronim.
À partir de 1639, les temps s'assombrissent avec le début des affrontements entre les armées françaises et espagnoles en Roussillon ; ils culminent avec le siège et la capitulation de Perpignan, aux mains des Espagnols, en 1642. Nous ignorons si Hieronim et sa famille sont restés dans la ville pendant ces terribles moments comme le notaire Pere Pasqual (beau-père de Josep Perarnau) qui en a fait le récit[6], ou s'ils l'ont fuit comme la plupart des nobles pour trouver refuge ailleurs en Roussillon. Ce n'est que beaucoup plus tard qu'ils décident de le quitter. Se trouvant confrontés à devoir choisir leur camp comme tous les membres de la noblesse roussillonnaise, les Perarnau (comme ci-dessous Antoni Generes et Pere Pasqual), optent pour celui de l'Espagne et prennent en 1652 le chemin de l'exil vers Barcelona avec pour conséquence de voir leur seigneurie de la Roca confisquée en 1653. Ils ne regagneront Perpignan qu'à la fin des hostilités, Hieronim pour y mourir et Josep pour récupérer la seigneurie le 5/05/1660. Hieronim est enseveli dans le caveau de la famille creusé dans la cathédrale Saint Jean "devant la grille du maître-autel. Un navire (les armes de la maison), était sculpté sur la pierre tombale"[7]. Ce navire symboliserait la fonction "d'armateurs des Flandres pour Philippe IV"[8] qu'auraient occupé les Perarnau, peut-être pendant leur exil barcelonais?

Josep Perarnau Joli (†1679)
     Josep avait épousé en 1645 à Perpignan Rosa Generes Pasqual, fille d'Antoni Generes, bourgeois honoré de Perpignan (1635), seigneur de Sant Esteve del Monastir, et de Francisca Pasqual (fille du notaire Pere Pasqual). Ils eurent huit enfants dont trois nés à Barcelona, deux filles mortes en bas âge et un garçon, Antoni (1657), héritier de la seigneurie ; les cinq autres naîtront après leur retour de la famille en Roussillon : Hieronim capitaine au régiment Royal Infanterie Roussillon, Fèlix chanoine d'Elne, Joan, Cecilia religieuse et Maria Magdalena épouse d'Ivo Camo Garau, docteur en droit et bourgeois honoré.
Tant à Barcelona qu'à Perpignan, Antoni Generes et son fils Domènec se montrent très présents dans les affaires de Josep Perarnau, leur gendre et beau-frère.

Antoni Perarnau Generes (1657 - 1692)

     À la mort de son père, Antoni devient seigneur de la Roca en 1679. L'année suivante, il épouse Maria Magdalena d'Esprer de Copons. Si cette union reste dans le sérail des bourgeois honorés (les d'Esprer le sont depuis déjà trois générations), elle marque néanmoins un tournant : alors que jusqu'ici les liens s'étaient tissés au sein de l'aristocratie roussillonnaise ayant pris le parti de l'Espagne, cette alliance traduit un rapprochement avec la France.
Le destin des Comtés étant scellé depuis 1659, il est temps pour la noblesse roussillonnaise de rentrer en grâce auprès du nouveau pouvoir. La belle-mère d'Antoni n'est autre que Geltrudis de Copons dont le père, Felip de Copons i Tamarit, avait au moment du conflit embrassé la cause du roi de France. Il faut dire que les données étaient différentes dans le Principat d'où sont originaires les de Copons, vieille et grande famille de la noblesse sud-catalane. La branche qui nous intéresse est celle des seigneurs de Puig-Roig près de Vilafranca del Penedès. Lors du conflit entre la Generalitat et le roi d'Espagne, Felip de Copons avait soutenu l'alliance que la Generalitat avait nouée avec Louis XIII contre Madrid. Le roi de France, nouveau comte de Barcelona, l'avait nommé juge de la Reial Audiencia en 1640. Mais quelques années plus tard, en 1652, quand les armées espagnoles reprirent le dessus et assiégèrent Barcelona, les notables compromis dans la collaboration avec les Français durent quitter le Principat. C'est ainsi que Felip de Copons est arrivé à Perpignan où sa fidélité fut récompensée par un poste de Conseiller du Conseil Royal en 1653, puis par celui de Conseiller au Conseil Souverain de Roussillon. Son fils, son petit-fils et son arrière-petit-fils en seront président à mortier[9].
     Antoni Perarnau s'éteint en 1692 en pleine jeunesse (35 ans), laissant de son union avec Maria Magdalena d'Esprer de Copons quatre enfants en bas âge dont un, Antoni, ne lui survivra qu'un an. Sa veuve s'étant remariée dès l'année suivante avec Joan de Barutell et demeurant à Puigcerdà, ses trois autres enfants, Domènec, Caietà et Magdalena, sont placés sous la tutelle et curatelle de leur grand oncle Domènec Generes, seigneur de Sant Esteve del Monastir et bourgeois honoré de Perpignan qui gèrera leur patrimoine jusqu'à leur majorité : la seigneurie de la Roca est alors affermée, successivement à Jacinto Fabre (1695-1699), à Joaquim Balderan et Fèlix Reig (1699-1703) et à Gaspar Fericles (1703-1707).
     La maison familiale des Perarnau de la Plaça Nova à Perpignan est louée au président de Salelles[10], tandis que les enfants sont séparés : Domènec, 17 ans, est pensionnaire au collège des Pères de l'Oratoire de Pézenas ; Magdalena est placée sous la protection de sa grand-tante Maria de Copons i Tamarit, religieuse du couvent de Saint Sauveur de l'ordre de Saint Augustin ;  Caietà, 9 ans, vit dans la demeure d'Emanuel Rodrigues, curé de l'église Saint Jean (adulte, il deviendra moine à Sant Miquel de Cuixà).

Domènec de Perarnau Esprer (1683 - 1746)
     En 1711, Domènec de Perarnau, seigneur de la Roca, prend pour épouse Theodora de Camprodon et Sant Dionis, fille de Josep de Camprodon, capitaine dans le régiment des chevau-légers[11] et de Narcissa de Sant Dionis fille d'un officier de l'armée du roi de France. Originaire du Principat, la famille de Camprodon est enracinée depuis longtemps en Roussillon où les ancêtres de Theodora comptent quatre générations de bourgeois honorés. En outre, Antich, son arrière-grand-père, avait été nommé au Privilège de Noble armé des citoyens de la matricule et Bonaventure, son grand-père, notaire, avait été anobli par Philippe III en 1635. 
     La venue de Girona en Roussillon des de Sant Dionis est plus récente et leur renommée moins grande. Pour autant, bien avant l'union de Josep de Campredon et de Narcissa, un tragique destin avait réuni ces deux familles : la tante de Theodora, Teresa de Camprodon, mariée à Francesc de Foix et Bearn, seigneur de Sorède, avait eu une liaison avec Emmanuel de Sant Dionis, le père de Narcissa, assassiné par des résistants à la francisation du Roussillon. Accusée d'avoir été l'instigatrice du complot d'assassinat de son ex amant, Thérèse fut condamnée à mort et exécutée en 1662[12].
En 1711, cinquante ans après, cette affaire n'est qu'un mauvais souvenir et l'alliance de Domènec de Perarnau et de Teodora de Camprodon et Sant Dionis s'inscrit dans une stratégie de bonnes des relations avec le pouvoir de la nouvelle province française.

Sur le plan familial, Domènec se trouve confronté à un long conflit avec sa sœur Magdalena concernant l'héritage de leur père décédé ab intestat[13]. Il débute en 1707 alors que Magdalena n'a que 16 ans et se conclut par une première transaction en 1708 qui accorde à la plaignante une pension alimentaire et une dot de 8000 livres, confirmée par une seconde à la majorité de Magdalena en 1715, année de son mariage avec Josep de Sarda Terrena. Mais celle-ci ne s'en satisfait pas et se référant au testament de son grand-père Josep, elle réclame "la troisième partie de l'universel héritage des biens"[14]. Après 30 ans de procédures, elle se verra débouter de ses prétentions en 1737.
     Fin 1746, Domènec, gravement malade, est alité dans sa maison de la Roca ; il dicte le 7 décembre son testament[15]. N'ayant pas eu d'enfant avec Theodora, il institue son neveu (le fils de Magdalena), Josep de Sarda de Perarnau, son héritier universel, mais en laissant à son épouse "l'usufruit et jouissance de ses biens" ; il donne à son beau-frère Bonaventure de Camprodon "l'usufruit de la maison qu'il possède à Perpignan rue de la Hale ou poissonnerie" et une rente annuelle de 300 livres ; il lègue à sa filleule Françoise de Copons 1100 livres payables après la mort de son épouse.
Domènec s'éteint le 19 décembre. Les obsèques ont lieu le lendemain à la Roca, dans l'église paroissiale Saint Félix, en présence de 13 prêtres dont Josep Vilanova, curé de la Roca[16].
Si trois membres de la famille Perarnau avaient déjà été inhumés dans cette église, Domènec est le seul seigneur de la Roca à y être enterré, (ses prédécesseurs l'ont été à la cathédrale Saint Jean à Perpignan) ; son épouse Theodora le rejoindra le 18/10/1755 ; sa sépulture se trouve "devant le maître autel"[17] .

Josep de Sarda de Perarnau (†1782)
     Les de Sarda, originaires d'Ille où ils possèdent de nombreuses propriétés, sont bourgeois honorés de la ville de Perpignan depuis quatre générations. C'est un beau parti qu'épouse en 1715 Magdalena de Perarnau en la personne de Josep de Sarda Terrena dont le père avait été anobli par Louis XIV. Ils auront 5 enfants Joseph, Antoine, Marie-Thérèse, Gaspard et Caietana.
Leur fils aîné, Josep de Sarda de Perarnau, hérite en 1745 des biens de son père[18] qui comptent les maisons de famille d'Ille et de Perpignan, une autre maison, un cortal et des terres à Ille, des terres à Néfiach, une maison, deux cortals et des terres à Bouleternère, des terres à Saint Laurent de la Salanca, le four à pain banal, un cortal et des terres à Pia.
     Vient s'y ajouter, en 1755, la pleine jouissance à la mort de Theodora de l'héritage de son oncle Domènec de Perarnau. L'ensemble met Josep de Sarda, seigneur de la Roca, à la tête d'un confortable patrimoine qui fait des envieux dans la parentèle...
     Dès 1756, il doit composer avec Bonaventure de Camprodon de Sant Dionis, le frère de Theodora, qui lui réclame la somme de 16 082 Livres : 9 000 L pour la dot de Theodora,        1 000 L de gain de survie acquis par sa sœur par contrat de mariage et 6 082 L pour les créances obtenues par Theodora "sur les biens et successions les aiant libérés de plusieurs detes et rentes passives"[19].
N'ayant pas "d'argent effectif pour payer la dite somme", les deux parties conviennent qu'elle sera réglée par trois rentes constituées, une de 320 L faite à la communauté des prêtres d'Ille, une de 346 L au monastère de Saint Dominique et une de 770 L à Bonaventure de Camprodon ou à ses ayants droit.
     En 1759, c'est François de Copons, président à mortier du Conseil Souverain, qui saisit le Conseil pour savoir si le legs de 1100 livres fait par Domènec de Perarnau à sa filleule Françoise de Copons était caduque compte tenu de la mort prématurée de cette dernière ou transmissible à sa famille. La cour tranche pour la transmissibilité et "condamne le dit de Sarda à payer aux dits mariés de Copons [...] la somme de 1100 livres"[20].
     Josep de Sarda de Perarnau est resté célibataire. Le 24/08/1782[21], malade dans sa maison d'Ille, il dicte son testament. Entre autres dispositions, il institue son frère Antoine son héritier universel et meurt deux jours après. Le 27/08, ses obsèques se déroulent dans l'église Saint Etienne d'Ille puis il est enterré dans le cimetière de Notre Dame de la Rodona.
     Mais Antoine ne restera pas longtemps seigneur de la Roca ; il meurt deux ans après Josep, le 15/11/1784, qu'il rejoint dans le caveau de famille d'Ille.
Marie-Thérèse de Sarda de Perarnau (†1790)
     Antoine étant décédé ab intestat, l'ensemble de son substantiel patrimoine échoit à sa sœur Marie-Thérèse qui devient la première femme à la tête de la seigneurie de la Roca. Elle y reste six ans avant que la mort ne la rattrape à son tour, mais cette fois sans solution pour une transmission familiale car, comme ses frères, Marie-Thérèse est sans descendance. Le choix de son successeur doit se faire hors du champ familial, ce qui marque définitivement la fin de la dynastie Perarnau à la Roca.
     Le 31/05/1790, Marie-Thérèse s'éteint dans la maison paternelle d'Ille non sans avoir dicté quatre jours avant à Maître Trullé, son testament mystique[22] qu'elle a déposé devant témoins chez son notaire.
C'est dans une pièce voisine de la chambre mortuaire que ce dernier procède en présence des mêmes témoins à l'ouverture du testament[23] scellé "aux quatre coins par quatre cachets de cire ardente rouge portant pour empreintes les armes ordinaires de la testatrice". Entres autres volontés, la baronne de la Roca laisse aux pauvres de sa seigneurie la somme de 1200 livres qui seront distribués par le curé et institue comme héritière universelle "la Demoiselle Augustine Viader et Anglade fille de feu François Viader et Reynalt bourgeois d'Ille et de Marie Anglade [...]".
     Nous n'avons trouvé aucun document justifiant le choix d'Augustine Viader. Il est évident que les liens entre la baronne de la Roca et sa jeune (21 ans) légataire devaient être étroits. Si l'étude généalogique comparée sur six générations des familles de Sarda, Perarnau et Viader ne nous a pas permis d'établir entre elles des liens au sens strict, il en ressort néanmoins une parenté de classe et de lieu : celle des bourgeois d'Ille, donc celle d'un même milieu où la fréquence des relations débouche sur des affinités.
Apothicaires à Ille au XVIIe siècle, les Viader s'orientent ensuite vers le droit : Théodore Viader Domenech, grand-père d'Augustine, est avocat à la cour du Conseil Souverain du Roussillon.
Cet examen révèle aussi la présence de connexions plurielles avec les Mauran, famille tentaculaire de mercaders et de bourgeois du Riberal de la Tet, entre Bouleternère, Millas et Ille. Nous avons distingué trois branches dont on peut penser avec Joan Peytavi qui a étudié l'une d'entre elles (cella d'Esteve Àngel Mauran) que tous ses membres "Sans qu'il soit possible d'établir des liens de parenté entre tous les individus [...] sont plus ou moins apparentés[24]". La deuxième branche, celle de Joaquim Mauran, mercader de Bouleternère, est très liée aux de Sarda : Gabriel Sarda, trisaïeul de Marie-Thérèse, épouse en 1620 Catarina Mauran et leur fils Josep de Sarda Mauran se marie avec sa cousine germaine, Maria Magdalena Mauran. La troisième branche, celle de Gabriel Mauran, pagès d'Ille, est proche des Viader : la veuve de Gabriel Mauran fils, Anna Maria  Domenech épouse l'arrière-grand-père d'Augustine, tandis que Pere Mauran Geli (neveu du précédent) se marie avec l'arrière grand-tante d'Augustine. Les Mauran agissent comme une sorte de dénominateur commun entre ces deux familles hors d'une quelconque filiation directe.
     Par ailleurs du côté de la mère d'Augustine, Marie Anglada Colomer originaire de Vinça, Thérèse de Sarda de Perarnau devait bien connaître son oncle, Joseph Anglada Cruells, docteur en lois, et son cousin germain Augustin Anglada Viader qui possédaient dans sa seigneurie de la Roca un mas (connu sous le nom de Porteix - Sors).

     Quelques mois plus tard, le 7/02/1791, la nouvelle baronne de la Roca, épouse dans l'église paroissiale Saint Saturnin de Bouleternère, Jean Bordas Desprer originaire du même village.
Mais l'énorme héritage que le sort avait placé sur les épaules d'Augustine s'avèrera très vite un encombrant fardeau que le jeune couple aura bien du mal à porter, car le coup d'envoi du grand chambardement révolutionnaire avait déjà été donné...
 Les notes

[1] A.D.P.O. 8 J 1
[2] A.D.P.O. 3 E1/3524
[3] A.D.P.O. 3 E1/3524
[4] A.D.P.O. 3 E1/6995, f°47 et f°62.
[5] A.D.P.O. 8 J 1
[6] Pere Pasqual, Mémoires, 1595-1644, texte publié par Paul Masnou, Revue d'histoire et d'archéologie du Roussillon, 1905.
[7] Abbé J. Capeille, Dictionnaire de Biographies roussillonnaises, Perpignan 1914.
[8] Jean Marie Pierre, Laroque des Albères, A la recherche de son histoire.
[9] Président à mortier : en référence au mortier, toque de velours noir bordée d'or portée par les présidents.
[10] El manual de 1700 de Jaume Esteve, notari de Perpinyà, edició a cura de Joan Peytaví Deixona, Fundació Noguera, Barcelona, 2014
[11] Corps de cavalerie de la Maison militaire du roi de France
[12] Pau Bassol i Marc, Thérèse de Campredon un procès criminel au XVIIe siècle, Le Harmattan
[13] Ab intestat : sans avoir rédigé de testament
[14] A.D.P.O. 8 J 6
[15] A.D.P.O. 8 J 1
[16] A.D.P.O. 8 J 1
[17] A.D.P.O. 8 J 45
[18] A.D.P.O. 8 J 45
[19] A.D.P.O. 8 J 45
[20] A.D.P.O. 8 J 45
[21] A.D.P.O. 8 J 45
[22] Forme peu utilisée de testament qui préserve le secret des dernières volontés du testateur qui ne sont connues qu'après sa mort.
[23] A.D.P.O 3 E 38/99
[24] Joan Peytaví Deixona, "La Família Nord-Catalana, Matrimonis i Patrimonis (segles XVI-XVIII)", Editorial Trabucaire, Canet 1996
Les illustrations
- De haut en bas:Vieux village de Laroque (La Roca) au pieds du château seigneurial en partie détruit en 1675.
- Mesure de grain de 1776 retrouvée dans la maison du seigneur. A gauche sont gravées les initiales "de Sarda"
- Une ancienne reproduction du village.
- Évier (pica) et foyers (fogons) de la cuisine de la maison du seigneur.
- Retable de l’église paroissiale Saint-Félix édifié à l'initiative du seigneur Domènec de Perarnau (1ere moitié du XVIIème siècle)
- Ancienne porte fortifiée de Laroque (La Roca).
- Arbre généalogique Perarnau / de Sarda.

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