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jeudi 21 février 2019

L'Eglise romane de Saint-André

SAINT-ANDRÉ L’ÉGLISE ROMANE
UNE MARQUE …REMARQUÉE ET REMARQUABLE ! Gérard Canal - Caroline Mahoux
     L’observation des murs de nos églises peut nous révéler quelques surprises même quand on a l’occasion, tout le long de l’année, de les faire découvrir aux amateurs d’art roman ou aux simples touristes[1].
Ce fut le cas lors d’une visite commentée de l’ancienne église abbatiale de Saint-André (Sant Andreu de Sureda). L’édifice est mentionné pour la première fois en l’an 823 dans un précepte de Louis le Pieux indiquant les possessions de l’abbaye, à savoir les églises proches de « Saint-Martin de la Vall de Montbran et de Saint-Vincent de Tatzó d’Amont ».
L’abbaye bénédictine fait partie des plus vielles abbayes de France. Son prestige et sa renommée varièrent dans le temps au gré des protections, des alliances et des invasions.
C’est ainsi que l’abbaye de Saint-André de Sorède, fort prospère à ces débuts grâce aux dotations des comtes du Roussillon, subit la concurrence de l’abbaye de Saint-Génis des Fontaines et se retrouva ruinée en 1109. Sauvée par la comtesse Agnès de Roussillon qui en fit don à l’abbaye de Lagrasse, elle reprit un peu de son lustre avant de décliner à nouveau et d’être rattachée à l’abbaye de Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech en 1592.
En 1789 l’ensemble abbatial subit la vindicte des révolutionnaires qui démantelèrent le cloître et les bâtiments du couvent.
Depuis ce temps-là, l’église monastique subsistante est devenue l’église paroissiale.
Apparentée architecturalement à l’abbaye de Sant Pere de Rodes[2], l’église comportait primitivement une nef avec charpente en bois, qui fut voûtée en pierre et flanquée de collatéraux au XIIe siècle.   Sant Pere de Rodes
A cette même époque, un clocher tour, de plan carré, fut construit dans l’angle de la nef et du transept sud (voir plan). Il n’en subsiste qu’une base et l’absence de document ne permet pas de savoir si la construction s’acheva à ce niveau là ou si la construction s’éleva à plus grande hauteur.
Le rez-de-chaussée de ce clocher tronqué fait actuellement office de sacristie[3].
C’est à l’extérieur de cette sacristie, sur le mur orienté plein sud, à environ quatre mètres de hauteur que l’on peut distinguer une marque lapidaire aux contours bien visibles surtout si l’on profite de l’éclairage rasant de fin de journée.
Elle a été gravée sur une pierre taillée en marbre blanc de Céret. Ce marbre provient de carrières au sud de Céret, aux environs du Mas Carol. Bien que légèrement veiné de noir ou de bleu, c’est sa blancheur, qui lui a valu d’être utilisé dans plusieurs édifices religieux romans roussillonnais mais aussi, bien au-delà dans le Sud-Ouest, en Ile-de-France et même en Italie dans des basiliques de la Rome pontificale[4].
Bien connus dans notre département, ces marbres cérétans ont été utilisés pour des éléments décoratifs par exemple, dans le couvent des Dominicains de Perpignan, aux portails des églises d'Elne et de Perpignan, dans des chapelles et cloîtres à Sorède, St-Génis-des-Fontaines, le Boulou, Millas, Arles-sur-Tech, etc[5].
Le marbre blanc de Céret peut se polir très finement jusqu’à l’obtention d’un aspect lisse du plus bel effet  mais, du fait de la dureté du matériau et de la difficulté de manier les outils, ce résultat ne peut être atteint qu’au prix de réels efforts et d’un savoir faire éprouvé[6]. L’aspect symbolique de la couleur blanche synonyme de pureté et le coût de revient élevé firent qu’il fut réservé aux parties les plus visibles de l’édifice comme le portail de l’église.
Ces pierres extraites et taillées faisaient l’objet de différentes marques : la marque de pose, la marque du tailleur de pierres, la marque de maître.
               Plan Église romane de Saint-André 
La marque utilitaire de pose ou d’assemblage est une marque technique destinée à faciliter le travail des appareilleurs. C’est le cas pour des pierres aux formes complexes dont l’assemblage ne pouvait se faire que d’une façon. Dans un arc ou une voûte, chaque pierre a une forme spécifique suivant la place qu’elle va occuper. Ainsi les marques de pose indiquaient quelles pierres associer, où les placer et dans quelle position. Ces indications étaient d’autant plus nécessaires que la taille des pierres s’effectuait souvent dans la carrière elle-même. Cela permettait de ne pas augmenter inutilement les coûts du transport qui étaient liés au poids. A l’arrivée des pierres sur le chantier, l’appareilleur retrouvait les marques de pose pour réaliser un assemblage parfait.
La marque du tailleur de pierre est une marque identitaire équivalente à une signature. Elle est toutefois discrète et consiste en général en une forme simple à exécuter. Elle évite tout litige sur le chantier quand il s’agit de comptabiliser le nombre et la qualité des pierres taillées pour payer les ouvriers. Elle représente une lettre, un objet (outil du métier par exemple) ou une figure géométrique.
Ces deux premiers types de marque sont le plus souvent invisibles, les faces gravées étant prises dans la maçonnerie[7].
La marque de maître est une marque plus sophistiquée que celle d‘un tailleur de pierres et nécessite un travail plus long. Elle est une marque identitaire soit du maître d’ouvrage en tant que commanditaire du chantier (noble, dignitaire ecclésiastique, ...) soit du maître d’œuvre en tant que concepteur du chantier, qu’il soit architecte ou chef de chantier. Cette marque doit rester apparente.
C’est bien entendu à ce type de marque de maître que nous avons affaire.

La marque lapidaire sur le mur extérieur de la sacristie est constituée d’une croix à branches d’égale longueur communément appelée « croix grecque ».
Les extrémités de la croix sont ornées de fleurs de lis stylisées. La croix par ailleurs est portée par une tige plus fine qui permettrait de la porter au bout d’une hampe ou de la ficher dans le sol.
         Croix gravée de Saint-André
La croix grecque est bien plus ancienne que la croix latine adoptée par le christianisme avec laquelle elle ne peut être confondue. En effet, la croix de la Crucifixion se caractérise par la branche pointant vers le sol nettement plus longue que les trois autres.
La croix grecque remonte à l’antiquité où elle était appelée « crux quadrata ». De fait elle s’inscrit dans un carré et les barres horizontale et verticale se coupent à angle droit en leur milieu.
Ainsi, il y a interpénétration d’un axe horizontal et d’un axe vertical avec le point particulier de leur croisement, au centre.
D’un point de vue symbolique, la croix grecque est une image de l’équilibre de l’univers, ramenant les quatre directions de l’espace en un point central.
Les auteurs anciens, tels Aristote, Plutarque, Pythagore, y voyaient un aspect symbolique. L’homme a cinq sens, cinq extrémités (tête, mains, pieds). Dans les miniatures médiévales, l’homme est souvent représenté, bras et jambes écartés, soulignant ainsi les cinq pointes formant un pentagramme. Ils avaient également noté que le nombre cinq s’obtient en additionnant deux et trois ; le nombre pair étant féminin car associé à la matrice, le nombre impair étant masculin. L’association de l’un et de l’autre étant androgyne. On ne peut que remarquer, sans aller plus loin, que ce mot a pour racine grecque « andros » qui a donné le prénom André.


Malgré nos recherches dans d’autres édifices de la région, aucune autre marque équivalente à celle gravée dans le marbre du mur de l’abbaye de Saint-André de Sorède, n’a pu être retrouvée.
Nous invitons donc les lecteurs à nous signaler toute marque de même nature qu’ils pourraient eux-mêmes découvrir et qui pourrait nous aider à préciser l’origine et la signification de ce travail de tailleur de pierres, ... remarquable et désormais remarqué.
Ouvrage de Jean Lavail de Saint-André

[1] Caroline Mahoux anime depuis plusieurs années le point information tourisme et patrimoine du village de Saint-André en assurant les visites couplées de la maison de l’Art Roman et de l’ancienne église abbatiale.
[2] Situé en catalogne espagnole, sur la commune de Port de la Selva à proximité du cap Creus.
[3] Le clocher actuel, quant à lui, est un clocher-mur percé de deux baies en plein cintre abritant les cloches.
[4] Notamment pendant la période baroque pour décorer les palais de Louis XIV. cf. Peybernes B. ; Inventaire typologique et utilisation en architecture des principaux marbres du cycle hercynien des Pyrénées françaises et du SW de la Montagne-Noire. Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Toulouse   2004, vol. 140, pp. 39-51.
[5] Gély Jean-Pierre. Le marbre de Céret (Pyrénées-Orientales) : neuf siècles d’extraction et d’emploi en décoration dans l’art roussillonnais – p. 385 – 397.
[6] Macquart-Moulin Irène, Les portails roussillonnais en marbre des XIIe et XIIIe siècles. Une renaissance de l’Antiquité. Thèse de l’école des Chartes. 2006.
[7] La grande surface dallée devant l’entrée de l’église abbatiale du Mont-Saint-Michel en Normandie s’était considérablement usée à cause du passage de millions de pèlerins qui étaient venus se recueillir dans le sanctuaire. Un restaurateur des Monuments Historiques eut l’idée, voici quelques années, de proposer de retourner toutes les pierres pour retrouver un dallage parfaitement plan. Lorsque l’opération fut entamée, il eut la surprise de découvrir, au centre de chaque dalle, une marque de tailleurs de pierres, cachée jusqu’alors et bien visible de nos jours.

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