Il existe dans certains petits villages,
une particularité qui éveille notre attention.
Il s’agit
des noms de familles, qui sont spécifiques dans ces mêmes villages, noms, qui
se sont enracinés ici, depuis plusieurs générations, pour ne pas dire,
plusieurs siècles ! Comment se fait-il que l’on retrouve toujours ces
mêmes noms ? Tout simplement, parce que les gens ne se déplaçaient pas
facilement comme aujourd’hui On naissait au village, on fondait une famille,
élevait les enfants, et on mourait dans ce même village. D’ailleurs y a un
proverbe catalan, qui dit : « Si te vos casa be, casa –te al
carrer ! Et c’est souvent ce qui se passait. Mais, vous allez me dire,
comment faisaient nos vieux pour s’y reconnaître ? Tout simplement, en
ajoutant un sobriquet à chaque famille. En ce qui concerne la mienne, Je peux
vous dire, que l’on ne m’a pas oublié. On pourrait même dire, sans exagération,
que ces noms, font partie du patrimoine de la commune, au même titre qu’un
monument historique !
Aujourd’hui, je voudrais vous parler,
d’une autre façon de voir, ce qu’était l’activité principale du village, qui a
régné pendant plusieurs décennies et a fait son renom. Mais auparavant, voici
quelques notes, que j’ai emprunté à la
belle chanson d’Aznavour ‘ La Bohème’, pour vous dire ceci : « Je
veux parler du temps, que les moins de Vingt ans, ne peuvent pas connaître,
Collioure en ce temps-là, était connu déjà, il faut le reconnaître. Dans toutes
les maisons, du Mousse au patron, on vivait de la pêche, Anchois pour salaison,
et en toutes saisons de la sardine fraîche. Cette histoire, tout le monde la
connaît, par des photos, cartes postales, tableaux de peintres, chansons,
poèmes, comme ceux d’Albert Bausil, Charles Trenet, ou encore plus récemment
Jordy Barre, Qui ont su mettre en lumière la beauté du site, où s’activaient
tous les acteurs de cette belle histoire. Eh ! Bien non, chers amis, je
veux vous parler de la face cachée de cette activité. ! Celle que personne
ne parle, celle que l’on ne voit pas, alors qu’il s’agit pourtant des premiers
acteurs de cette comédie ; Les hommes, bien sûr, les pêcheurs. Premiers
maillons de la chaîne.
Après avoir laissé à Port-Vendres, le
trafic maritime commercial, Collioure s’intéressait à la pêche, d’autant plus
que les génois apportaient avec eux, des nouvelles méthodes, avec leurs filets
dérivants, ou pélagiques .Technique que les pêcheurs colliourencs
s’empressèrent d’utiliser, car les résultats furent encourageants. ! Mais,
à quel prix ? Qui étaient ces
hommes qui s’engageaient dans cette aventure ? Il fallait être fort, en
bonne santé, savoir s’adapter en toutes circonstances. Le pont du bateau, était
leur lieu de travail, leur atelier en somme. Lieu instable soumis aux caprices
du temps : houle, vents, tempêtes, travail manuel intense, sans sécurité,
risques de chutes au sol ou pardessus bord ! Aucune hygiène, promiscuité
obligatoire, avec certains inconvénients ! Et cela toutes les nuits,
jusqu’à la matinée, où il faudra préparer la pêche suivante ! Le seul vrai
repos, était la sieste de l’après-midi ! Il faut bien le dire, que cette
activité ne pouvait pas être acceptée par tout le monde, car difficile de s’y
adapter. Mais malgré cela, beaucoup d’enfants, dès l’âge de 11/13 ans, étaient
embauchés comme mousse. Il n’y avait pas de chômage à ce moment-là. C’était une
opportunité pour les familles, de donner du travail à leurs enfants, malgré les
conditions. Pour eux, c’était les basses besognes, et parfois, subissaient les
colères des patrons, plutôt que de s’en prendre aux matelots. Sans parler des
coups de cordages sur les jambes, pour se faire passer la colère. Ils
devenaient les souffre-douleurs ! L’équipage fermait les yeux, car la
nécessité faisait loi. Comme on voit, l’ambiance n’était pas toujours
rose. Le contraste était grand, entre ce beau décor où les hommes s’activaient,
et leur tâche journalière. Le seul réconfort, était le bon résultat de la
pêche. C’est là, que le patron devait jouer son rôle !
Certains propriétaires de barques, leur
confiaient leurs embarcations, car tous les patrons n’étaient pas propriétaires
.Ils avaient donc une grande responsabilité, vis à vis de tout le matériel et
accessoires, du bon déroulement du travail, et surtout, de la vie et du
comportement des hommes. Quelle décision prendre en cas d’accident, de maladie,
ou d’une mésentente avec l’équipage ? Faut-il rentrer au port ? Comme
si rien n’était ! Ce n’était pas facile de prendre parti, car le but,
était de ramener du poisson, pour l’intérêt de tous. C’était leur
obsession ! Ces patrons étaient respectés,
car tous avaient besoin de lui. Ils étaient très expérimentés, connaissaient
les reliefs des fonds marins, rochers, épaves, mieux que les génois. Ils
étaient capables de s’orienter la nuit, de lire l’heure avec les étoiles (il
n’y avait pas de G P S ni sondeurs)
Prévoir le temps, les courants marins, savoir prendre la bonne décision au bon
moment ; Ils faisaient preuve d’intelligence et de subtilité. Ici,
L’école, c’était leur travail, les bons résultats, leurs récompenses, c’est
ainsi que s’est forgé le métier.
Certains aléas, malentendus, discordes,
d’une certaine importance, étaient présentés devant le tribunal de pêche, qui
réglait toujours ces différents de façon partiale. Ces juges, étaient choisis,
parmi les patrons-pêcheurs, élus démocratiquement. Ils n’avaient aucun titre de
juristes, mais en faisaient la fonction. Par contre, en ce qui concernait le
respect de la loi, de sécurité, c’était au syndic des gens de mer, de s’en
occuper (fonctionnaire de l’administration de la marine, bureau au château
royal)
A propos des hommes de l’équipage de ces
bateaux, je voudrais ajouter, que c’était des gens à caractères complexes,
rudes au travail, qui aimaient leur métier (heureusement), expansifs, fins
d’esprits et serviables, très attachés au village, et fiers d’être
colliourencs.
L’argent récolté de la vente du poisson,
était confié à un responsable de confiance, et une fois par semaine, les
équipages se réunissaient dans un café, pour faire le partage, devant une bouteille
de banyuls ou de pastis ; Le préposé à la fonction, après avoir déduit les
frais pour l’armement : essence ( je rappelle ici, que les moteurs n’ont
été installés, qu’après la guerre 14-18) entretien du bateau et des filets, les
cotisation à la caisse des invalides, et le reste, entre tous les
présents ; Le mousse avait droit à une demi part. Ici, pas de chèque, ni
de carte bancaire ! Et quand la pêche était bonne, chacun payait sa
tournée !
Dans l’orbite de la pêche, d’autres
activités s’étaient créées : Magasins de salaisons pour les anchois (21 en
1900, et 15 pour le conditionnement de la sardine, qui, elle, était emballée
dans de petites caissettes de 2kg environ et recouvertes de glace
concassée) ; Des centaines de femmes travaillaient dans ces ateliers.
D’autres métiers gravitaient autour de cette orbite : Tonneliers,
cordiers, teinturiers, charpentiers, ravaudeuses, transporteurs, rouliers,
poissonniers, grossistes et détaillants… Pour l’alimentation, 4 «
grandes » succursales se partagent l’espace : Les Docks Méridionaux,
La Ruche du midi, L’Abeille d’or, Les frères Morer, Sans compter les petits
commerçants : Epiciers, bouchers, boulangers , tous assurés d’avoir une
bonne clientèle de proximité, malgré leurs installations précaire, d’un autre
âge : « Pas de balance automatique, distribution de légumes
secs, au détail (lentilles ,haricots, pois-chiches), vins, puisés à même le
tonneau, fromage au détail, dont le prix est à calculer à chaque pesée.
Distribution du lait à domicile ! (Mlle Atxer Mimi, allait chercher le
lait, tous les jours, au train de 15 heures (baptisé : el tren de la
llet), et poursuivait la distribution, chez tous ses clients, avec un grand
broc (Durca)... La boulangère Charlotte,
vendait son pain au poids, au gramme prés, alors que son mari, chauffé le four,
avec le bois de châtaigner. Certains bouchers avaient leurs abattoirs, pour
ovins, et cochons, (Notre école, jouxtait un de ces bâtiments, ce qui nous
obligeait d’entendre l’agonie de ces animaux). Certaines bonnes dames se
louaient pour des travaux ménagers : Lessives (Au lavoir municipal, ou
dans le lit du Douy), mais aussi, pour le transport du bois, pour la cuisine ou
le chauffage ; Il fallait vraiment du courage et une certaine force, pour
transporter ces lourds fagots, de la forêt du Mas Christine à Collioure ;
Je peux vous assurer, que cette activité a perduré longtemps encore, après la
dernière guerre.
Deux grands évènements ont marqué la
période, d’avant-guerre à Collioure : La guerre d’Espagne, avec ses
conséquences sur notre territoire ! Etant près de la frontière, nous en
avons subi les méfaits. Pris au dépourvu, mal organisés, débordés de malades,
blessés, femmes, enfants, vieillards, notre solidarité n’a pas suffi, malgré
les dévouements de certains. Beaucoup ont disparus dans cet affreux exil… Puis, ça été la guerre
39-45. Pour notre village, les occupants nous ont fait partir de chez nous fin
1943. Ils avaient peur d’un débarquement sur nos côtes, de nos alliés. Grande
période de soucis, restrictions, liberté surveillée. Les barques, que les
occupants avaient parquées sur la place du marché, commençaient à pourrir. Le
village était méconnaissable : Plus de barques, donc plus de marin, plus
aucune activité. Les barbelés, les canons, les mitrailleuses, les murs de
béton, se dressaient tout près des plages. A notre retour de cet exil
temporaire (fin 44) les rues du vieux Collioure se cachaient sous une
épaisse couche d’herbes et buissons...Espérons ne plus revoir cela !
Pour les loisirs, tout le monde connaît la
fête de la St Vincent du 16 août, mais, je voudrais dire un mot sur toutes les
fêtes, qui ont un aspect religieux, et qui se manifestent durant toute
l’année, malgré la séparation de
l’église et de l’état. Car, l’église reste tout de même présente dans la
société occidentale. L’état, a su
formuler certaines conditions, et la société civile continu à s’y intéresser,
selon ses aspirations/ Ecoles privées, certaines institutions, respect des
rites, offices, processions, cultes, rappel des journées fériées toute
l’année ; Donc, on peut dire que l’église, fait partie de notre
patrimoine, et qu’il serait vain d’en dissuader la population. En 1850, le
clergé, avait demandé, aux villes de plus de 800 habitants, de prévoir une
école primaire pour jeunes filles. Collioure, était dans ce cas. Une école, fut
donc aménagée et installée à la place de la maison Berge
En face
l’église. Deux religieuses en avaient la responsabilité : c’était sœur St
Vincent, et sœur St Claire. A l’époque,
il y avait beaucoup d’analphabètes, et cette décision, avait été la bienvenue.
C’est grâce à cela, si j’ai pu recevoir du courrier, écrit par ma mère, pendant
mon service militaire .C’est elle également, qui assurait le courrier d’une de
ses amies, qui n’avait pas eu la chance d’aller à l’école. Ma génération a été influencée
par toutes les activités religieuses, héritées de nos parents, qui, à l’époque,
n’avaient pas accepté la séparation. Il fallait donc participer à toutes les
cérémonies, offices, processions ! Pour nous y intéresser, l’abbé Perarneau,
nous passait des films de Tintin et Milou, dans une salle du clocher. Pour être
franc, nous préférions mieux le cinéma, que le silence imposé de la
messe ! Toutes ces fêtes
religieuses sont à peu près respectées, durant l’année, mais c’est surtout
celle de Noël et Jour de l’an, qui voit dans ces fêtes, une réunion de
familles, dans la joie de la rencontre et la participation aux distractions
traditionnelles : Loto (Quine), Arbres de Noel, Repas gastronomiques. Sans
oublier aussi, la fête de Pâques, qui voit défiler dans les rues, les
inoubliables défilés des groupes folkloriques en quête de paniers bien garnis,
accompagnés de chants catalans, repris par la foule des curieux. L’ermitage de
Consolation, ne sera pas oublié, pour clôturer les fêtes du 15 août, avec la
traditionnelle messe, collations, bal pour tout le monde, réunis ici dans la
même ferveur…. A propos de cinéma, nous avions droit, à quelques charlotades, muettes
et en noir et blanc, sur la place du marché ! Où alors, un opérateur
d’Argelès sur mer, venait, certains dimanches après-midi, avec ses bobines,
pour passer quelques films, parlants et en couleurs ( une merveille à l’époque)
…Le sport, faisait partie des distractions : Le rugby ( dont le siège se
trouvait au café des sports Les templiers » occupait toute la jeunesse,
et, si elle a pu profiter du stade, c’est grâce à un certain capitaine
Belmondo, commandant au fort du Miradou, avec ses soldats, qu’on appelait
« les exclus », qui ont fait, avec pelles, pioches, et wagonnets sur
rails, ce magnifique terrain, qui fut baptisé à l’époque « Stade
Belmondo »
Quant aux autres distractions, en dehors
des fêtes religieuses, Collioure a su se montrer innovant en créant des
spectacles, revues, tours de chants, avec des troupes espagnoles et chanteurs
renommés. Ainsi tous les samedis, nous avions droit à entendre : Tino
Rossi, Charles Trenet, Maurice Chevalier, Les compagnons de la chanson, Edit
Piaf, Edit Constantine , et ces magnifiques troupes espagnoles, qui nous
charmaient, avec leurs fandangos, claquettes, et castagnettes , qui nous
transportaient en rêve vers ces chaudes nuits andalouses, ou dans quelques « bodegas » des vieux
quartiers de Séville !
Collioure,
avait-il choisi un autre chemin, à ce moment-là ?
Les
événements qui ont suivi, lui ont peut-être donné raison !
Car tout
cela, c’était après la guerre, une autre histoire commençait !!!
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