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jeudi 18 octobre 2018

Capbreu d'Argelers de 1292

LE CAPBREU D’ARGELES 1292.
Ville où le seigneur était « rei de Mallorca »   Andreu Capeille.
     En marge de l’exposition qui se déroule à la « Casa de l’Albera », voici un texte (extrait de Massana n°37 du 4ième trimestre 1979) sur un document rarissime appelé Capbreu, que vous pouvez voir et qui donne des indications  très importantes sur les noms de lieux et des noms de famille qui subsistent pour certains d’entre-eux, encore 724 ans après !
-          Qu’est-ce qu’un Capbreu ou Capbreus ? Les Capbreus sont des documents cadastraux du Moyen-âge ; ils forment les plus anciens documents de recensement que le Roussillon connaisse. Les villes citées ci-après : Collioure, Argelès, Estagel, Millas, Tautavel, Claira et Saint-Laurent-de-la-Salanque, en possedent un. Celui d’Argelès a été commandé par le roi Jaume II de Mallorca en 1292/93.

Le Capbreu terrier d’Argelès.
     Au début du XIIIième siècle, la terre est redistribuée ; la communauté des prêtes et les moines ne sont plus les uniques possesseurs. On donne une reconnaissance de droit à la propriété, au chef de famille, pour les terres sises dans le territoire, dans des textes appelés « Capbreus ». Si on juge au nombre des déclarants à cette propriété, le nombre de ménages, on peut, sans trop  s’écarter de la vérité, dire qu’Argelès comptait en 1292/1293 environ 286 ménages.
     Le Capbreu de la ville d’Argelès est une véritable œuvre d’art, en voici sa description réalisée par Marcel Durliat (1) : Prestation du serment d’Amat Roquera d’Argelès ; le notaire est occupé à tailler son calamus, (mot latin, à l'origine du mot calame, qui désigne un roseau pour écrire), et tient sur ses genoux uns feuille où il a déjà écrit le mot Amatus. Sur le livre du procureur royal, le nom des Evangélistes.
     La scène décrite au-dessus est peinte en frontispice d’une série de 36 feuilles, toutes de velin ou de parchemin fin et blanchi, écrites sur les deux faces. Il renferme 283 déclarations dont chacune commence par « Noverint universi… » (Que tout le monde sache), formule normale de déclarations registrées. La date de ces 283 actes du Capbreu, varie entre le 12 et le 14 des kalendes d’avril 1292, soit le 18 au 20 avril (2)  
La lecture des différents articles nous donne une idée des noms de lieux et des noms de personnes ; ces lieux-dits sont très rarement mentionnés en latin, la plupart du temps leur nom est en catalan, quoique à certains moments, l’on trouve quelques résonnances françaises ; ceci provient du scribe qui avait la connaissance de la langue, française.

Description des enluminures, caractéristique du XIIIième siècle.
     Sur le plan économique, on peut noter que la densité d’occupation de la terre, la densité d’implantation culturale et d’implantation humaine, est relativement élevée. Il est aussi fait mention des divers impôts et droits relatifs à ces possessions.
Mais ce qui est très intéressant de connaître dans cette transcription, c’est la teneur des récoltes du sol ; nous apprenons que la vigne couvrait le pied de l’Albera, les jardins potagers étaient nombreux, l’orge et le millet poussaient, ainsi que les plantations d’oliviers.
     Sur le plan humain, la liste des habitants d’Argelès ne saurait être exhaustive, du total de 450 tenanciers de la terre, certains de même nom, et tous, d’âge adulte et de sexe masculin ; de cette constatation, avancer le chiffre de 1000 personnes n’est guère aventureux ; si on ajoute un nombre d’enfants sensiblement égal à celui des adultes des deux sexes, nous obtenons pour le territoire d’Argelès en 1292, une population totale supposée d’environ 2000 âmes, ce nombre, pour important qu’il puisse paraître dans l’ignorance de la population médiévale, semble plus ou moins correct !
     La rédaction de ce Capbreu a vu le jour grâce à la paix qui régnait sur notre pays depuis fort longtemps.
     Le compartiment de gauche a un fond rose avec un quadrillage et des diagonales mauves, encadrement bleu ; celui du centre, un fond bleu avec un quadrillage et diagonale bleu clair et rose, encadrement rose ; celui de droite est identique au premier.
     Le roi porte un manteau mauve orné de points blancs, sur une robe de même couleur. Le décor d’architecture est jaune, le premier témoin a une robe orange, le second d’une tunique rose et un manteau vert, le scribe un manteau mauve, le procureur un manteau noir avec une croix rouge et une tunique mauve ; le siège est bleu avec un coussin rouge.

La vie devient alors une communauté organisée.
     C’est alors l’époque de la communauté organisée : de nombreuses chartes autorisent la construction de remparts. Ainsi Argelers, Tatzó d’Avall, se garantissent du danger extérieur. Le beffroi communal étant inconnu, c’est le clocher qui tenait ce rôle. Les portes des fortifications sont gardées par des hommes portiers et fermées dans les temps troublés.
     L’église Nostra Senyora dels Prats d’Argelers comme celle d’autres villes tenait, le plus ordinairement, lieu de réduit central, d’où le nombre des églises fortifiées (ecclesiae incastellat), ces églises, étaient construites de façon à résister à tout type d’attaque : les murs étaient très massifs, les voutes lourdes et épaisses en étaient une bonne garantie. L’ordre de fortifier Tatzó d’Avall date du 13 septembre 1299, où on y établit des bretèches, des mâchicoulis au-dessus des portes. (3)
Les défenseurs se tenaient au-dessus du toit, abrités par la surélévation des murs latéraux de l’église, dans leur partie supérieure étaient pratiqués créneaux et archères.
Déjà 100 ans plus tôt, en février 1198, Pere rei d’Aragó, autorise Bernat de Banyuls à construire un dispositif de défense dans l’église Sant Julià d’Argelers, qui appartient au dit Bernat, à condition que l’édifice soit mis à la première demande à la disposition du roi ; (Miquel Rossell : Liber feudorum major, II-283). De cette église, il ne reste plus que le lieu-dit de son nom.
     Dans Argelès, la construction du clocher précéda celle de l’église où, par une requête des consuls du procureur royal, il est demandé d’affecter à la fabrique, les revenus de la boulangerie de leur ville, ceci, le 7 mai 1341. La fabrique en question était installée au bas du clocher dans la salle du rez-de-chaussée. En outre les habitants n’avaient pas le droit de cuire le pain en dehors du four communal qui s’appelait « la casa de la hobra », c’est-à-dire la maison de la fabrique (4).
La participation à la vie de la cité.
Elle se retrouvait dans les impôts : alors, ces sommes payées, représentant la tâche d’une année allaient grossir les caisses des notables de la ville (5). Il existait une coutume bizarre, d’après laquelle le seigneur d’Argelès avait droit aux langues de bœufs et vaches qui mouraient de maladie ou qui étaient tuées (6).
     A la fin de ce XIIIième siècle, les argelésiens voyaient se construire sur le massif de l’Albera la célèbre « Tour Massana ». D’après Pierre Vidal, la tour Massana avait passé pour être construite par les Maures, qui, disait-on, s’en servait de tout à signaux. Il affirme qu’il en est rien, et que cette tour ne vit s’élever ses murs que sous le règne de Jaume de Mallorca vers 1280. De ce point haut, on voit cinq ans plus tard passer Philippe le Hardi qui se rendait en Espagne après un séjour au château de La Roca (Laroque) pour visiter son allié Jaume de Mallorca ; Philippe III le Hardi était à la tête des croisés poursuivant le roi d’Aragó qui s’était réfugié en Catalogne.
     Ce n’est qu’en 1298, que la ville d’Argelès entre dans la grande histoire du Roussillon ; mais tout d’abord, un privilège lui fut accordé pour ses jours de foire, par le roi Jaume de Mallorca (7), Comte de Roussillon et de Sardaigne, seigneur de Montpellier, munie du sceau du même roi, sur lin blanc et rouge, dont la teneur s’en suit :
     « Sache tout le monde que nous, Jaume, par la grâce de Dieu roi de Mallorca, Comte de Roussillon et de Sardaigne, seigneur de Montpellier, par délibération prise sur les choses ci-après, d’autorité de notre tuteur, et conseil pour l’utilité de la province et de nos vassaux, acquiesçant à l’humble supplication des Consuls et de l’Université du Château d’Argelès qui nous ont produit un privilège très ancien de nos prédécesseurs avec lequel ils sont autorisés de tenir un marché et foire au dit Château d’Argelès.
     Par les présents, autorisé de l’illustre Felip de Mallorca, notre oncle et tuteur, donnons et accordons aux Consuls et Université du Château d’Argelès, un marché public tenable et faisable en ce lieu à perpétuité un jour de chaque semaine ce avoir : Le jour du mardi, donnons et accordons aux mêmes Consuls et à l’Université dudit lieu d’Argelès, faire foire d’huit jours pleins et consécutifs à commencer le premier du mois d’août, à perpétuité et incommutable avec toutes les franchises immunités et exemptions ci-après exprimées et annexées premièrement ».
     La place du marché, était sur le devant de l’entrée du Château Amorós, actuellement place Rebally, et proche de la « Casa de l’Albera » ; à cette époque, la marché ou foire était un mélange hétéroclite de population. Les marchands de bestiaux côtoyaient tout aussi bien, les vendeurs de tissus, surtout de draps, les fabricants de cordages et de métaux (8) ; le tout devant des docteurs, barbiers, arracheurs de dents et charlatans notoires comme sur toutes les places publiques de ce temps-là (9).

(1)     Archives départementales des P.O, Marcel Durliat, la description des ce Capbreu est tirée de l’ouvrage « Arts anciens du Roussillon ».
(2)     J. G. Gigot, Revue CERCA n°3, Pâques 1959, pages 32 à 63.
(3)     Brutails « Population rurale des P.O, au Moyen-Âge »
(4)     Archives départementales des P.O,  B. 217. Défense de vendre dans la ville d’Argelès du pain cuit ailleurs qu’au four banal, tenu par le « fermier » responsable.
(5)     Archives départementales des P.O, série B 153, B 30, B 94, B 153 et B 154.
(6)     Alart « Notice historique »
(7)     Andreu Capeille, Massana tome II, page 193.
(8)     Argelès était connu par ses voisins et  cela grâce aux artisans cordiers et tisseurs de draps.
(9)     Andreu Capeille – Regard sur un village…Argelès dans l’Histoire du Roussillon des Origines à 1900. Massana numéro 37. Argelès 1979. 230 pages. Dans cet ouvrage ont peut consulter les différent tableaux concernant les noms des familles et des lieux dits de ce temps. Pages 36 à 40.

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