Ville où le seigneur était « rei de Mallorca » Andreu
Capeille.
En marge de l’exposition qui se déroule à la « Casa de
l’Albera », voici un texte (extrait
de Massana n°37 du 4ième trimestre 1979) sur un document
rarissime appelé Capbreu, que vous pouvez voir et qui donne des
indications très importantes sur les
noms de lieux et des noms de famille qui subsistent pour certains d’entre-eux,
encore 724 ans après !
-
Qu’est-ce qu’un Capbreu ou
Capbreus ? Les Capbreus sont des documents cadastraux du
Moyen-âge ; ils forment les plus anciens documents de recensement que le Roussillon connaisse. Les villes
citées ci-après : Collioure, Argelès, Estagel,
Millas, Tautavel, Claira et Saint-Laurent-de-la-Salanque, en possedent un.
Celui d’Argelès a été commandé par le roi Jaume II de
Mallorca en 1292/93.
Le Capbreu terrier d’Argelès.
Au début du XIIIième siècle, la terre est redistribuée ;
la communauté des prêtes et les moines ne sont plus les uniques possesseurs. On
donne une reconnaissance de droit à la propriété, au chef de famille, pour les
terres sises dans le territoire, dans des textes
appelés « Capbreus ». Si on juge au nombre des déclarants à
cette propriété, le nombre de ménages, on peut, sans trop s’écarter de la vérité, dire qu’Argelès
comptait en 1292/1293 environ 286 ménages.
Le Capbreu de la ville d’Argelès est une véritable œuvre d’art, en voici
sa description réalisée par Marcel Durliat (1) : Prestation
du serment d’Amat Roquera d’Argelès ; le notaire est occupé à tailler son
calamus, (mot
latin, à l'origine du mot calame, qui désigne un roseau pour écrire), et tient sur ses
genoux uns feuille où il a déjà écrit le mot Amatus. Sur le livre du procureur
royal, le nom des Evangélistes.
La scène décrite au-dessus est peinte en frontispice d’une série de 36
feuilles, toutes de velin ou de parchemin fin et blanchi, écrites sur les deux
faces. Il renferme 283 déclarations dont chacune commence par « Noverint
universi… » (Que tout le monde
sache), formule normale de
déclarations registrées. La date de ces 283 actes du Capbreu, varie entre le 12
et le 14 des kalendes d’avril 1292, soit le 18 au 20 avril (2)
La lecture des différents articles
nous donne une idée des noms de lieux et des noms de personnes ; ces
lieux-dits sont très rarement mentionnés en latin, la plupart du temps leur nom
est en catalan, quoique à certains moments, l’on trouve quelques résonnances
françaises ; ceci provient du scribe qui avait la connaissance de la
langue, française.
Description des enluminures,
caractéristique du XIIIième siècle.

Mais ce qui est très intéressant de
connaître dans cette transcription, c’est la teneur des récoltes du sol ;
nous apprenons que la vigne couvrait le pied de l’Albera, les jardins potagers
étaient nombreux, l’orge et le millet poussaient, ainsi que les plantations
d’oliviers.
Sur le plan humain, la liste des habitants d’Argelès ne saurait être
exhaustive, du total de 450 tenanciers de la terre, certains de même nom, et
tous, d’âge adulte et de sexe masculin ; de cette constatation, avancer le
chiffre de 1000 personnes n’est guère aventureux ; si on ajoute un nombre
d’enfants sensiblement égal à celui des adultes des deux sexes, nous obtenons
pour le territoire d’Argelès en 1292, une population totale supposée d’environ
2000 âmes, ce nombre, pour important qu’il puisse paraître dans l’ignorance de
la population médiévale, semble plus ou moins correct !
La rédaction de ce Capbreu a vu le jour grâce à la paix qui régnait sur
notre pays depuis fort longtemps.
Le compartiment de gauche a un fond rose avec un quadrillage et des
diagonales mauves, encadrement bleu ; celui du centre, un fond bleu avec
un quadrillage et diagonale bleu clair et rose, encadrement rose ; celui
de droite est identique au premier.
Le roi porte un manteau mauve orné de points blancs, sur une robe de
même couleur. Le décor d’architecture est jaune, le premier témoin a une robe
orange, le second d’une tunique rose et un manteau vert, le scribe un manteau
mauve, le procureur un manteau noir avec une croix rouge et une tunique
mauve ; le siège est bleu avec un coussin rouge.
La vie devient alors une
communauté organisée.
C’est alors l’époque de la communauté organisée : de nombreuses
chartes autorisent la construction de remparts. Ainsi Argelers, Tatzó d’Avall,
se garantissent du danger extérieur. Le beffroi communal étant inconnu, c’est
le clocher qui tenait ce rôle. Les portes des fortifications sont gardées par
des hommes portiers et fermées dans les temps troublés.
L’église Nostra Senyora dels Prats d’Argelers comme celle d’autres
villes tenait, le plus ordinairement, lieu de réduit central, d’où le nombre des
églises fortifiées (ecclesiae
incastellat), ces églises, étaient construites de façon à résister à tout
type d’attaque : les murs étaient très massifs, les voutes lourdes et
épaisses en étaient une bonne garantie. L’ordre de fortifier Tatzó d’Avall date
du 13 septembre 1299, où on y établit des bretèches, des mâchicoulis au-dessus
des portes. (3)
Les défenseurs se tenaient
au-dessus du toit, abrités par la surélévation des murs latéraux de l’église,
dans leur partie supérieure étaient pratiqués créneaux et archères.
Déjà 100 ans plus tôt, en février
1198, Pere rei d’Aragó, autorise Bernat de Banyuls à construire un dispositif
de défense dans l’église Sant Julià d’Argelers, qui appartient au dit Bernat, à
condition que l’édifice soit mis à la première demande à la disposition du
roi ; (Miquel Rossell : Liber
feudorum major, II-283). De cette
église, il ne reste plus que le lieu-dit de son nom.

La participation à la vie de
la cité.
Elle se retrouvait dans les
impôts : alors, ces sommes payées, représentant la tâche d’une année
allaient grossir les caisses des notables de la ville (5). Il existait une
coutume bizarre, d’après laquelle le seigneur d’Argelès avait droit aux langues
de bœufs et vaches qui mouraient de maladie ou qui étaient tuées (6).
A la fin de ce XIIIième siècle, les argelésiens voyaient se
construire sur le massif de l’Albera la célèbre « Tour Massana ».
D’après Pierre Vidal, la tour Massana avait passé pour être construite par les
Maures, qui, disait-on, s’en servait de tout à signaux. Il affirme qu’il en est
rien, et que cette tour ne vit s’élever ses murs que sous le règne de Jaume de
Mallorca vers 1280. De ce point haut, on voit cinq ans plus tard passer
Philippe le Hardi qui se rendait en Espagne après un séjour au château de La
Roca (Laroque) pour visiter son allié Jaume de Mallorca ; Philippe III le
Hardi était à la tête des croisés poursuivant le roi d’Aragó qui s’était
réfugié en Catalogne.
Ce n’est qu’en 1298, que la ville d’Argelès entre dans la grande
histoire du Roussillon ; mais tout d’abord, un privilège lui fut accordé
pour ses jours de foire, par le roi Jaume de Mallorca (7), Comte de
Roussillon et de Sardaigne, seigneur de Montpellier, munie du sceau du même
roi, sur lin blanc et rouge, dont la teneur s’en suit :
« Sache tout le monde que nous,
Jaume, par la grâce de Dieu roi de Mallorca, Comte de Roussillon et de
Sardaigne, seigneur de Montpellier, par délibération prise sur les choses
ci-après, d’autorité de notre tuteur, et conseil pour l’utilité de la province
et de nos vassaux, acquiesçant à l’humble supplication des Consuls et de
l’Université du Château d’Argelès qui nous ont produit un privilège très ancien
de nos prédécesseurs avec lequel ils sont autorisés de tenir un marché et foire
au dit Château d’Argelès.
Par les présents, autorisé de l’illustre
Felip de Mallorca, notre oncle et tuteur, donnons et accordons aux Consuls et
Université du Château d’Argelès, un marché public tenable et faisable en ce
lieu à perpétuité un jour de chaque semaine ce avoir : Le jour du mardi,
donnons et accordons aux mêmes Consuls et à l’Université dudit lieu d’Argelès,
faire foire d’huit jours pleins et consécutifs à commencer le premier du mois
d’août, à perpétuité et incommutable avec toutes les franchises immunités et
exemptions ci-après exprimées et annexées premièrement ».
La place du marché, était sur le devant de l’entrée du Château Amorós,
actuellement place Rebally, et proche de la « Casa de
l’Albera » ; à cette époque, la marché ou foire était un mélange
hétéroclite de population. Les marchands de bestiaux côtoyaient tout aussi
bien, les vendeurs de tissus, surtout de draps, les fabricants de cordages et
de métaux (8) ; le tout
devant des docteurs, barbiers, arracheurs de dents et charlatans notoires comme
sur toutes les places publiques de ce temps-là (9).
(1)
Archives départementales des P.O, Marcel Durliat, la
description des ce Capbreu est tirée de l’ouvrage « Arts anciens du Roussillon ».
(2)
J.
G. Gigot, Revue CERCA n°3, Pâques
1959, pages 32 à 63.
(3)
Brutails « Population
rurale des P.O, au Moyen-Âge »
(4)
Archives
départementales des P.O, B. 217. Défense
de vendre dans la ville d’Argelès du pain cuit ailleurs qu’au four banal, tenu
par le « fermier » responsable.
(5)
Archives
départementales des P.O, série B 153, B 30, B 94, B 153 et B 154.
(6)
Alart
« Notice historique »
(7)
Andreu
Capeille, Massana tome II, page 193.
(8)
Argelès
était connu par ses voisins et cela
grâce aux artisans cordiers et tisseurs de draps.
(9)
Andreu
Capeille – Regard sur un village…Argelès
dans l’Histoire du Roussillon des Origines à 1900. Massana numéro 37.
Argelès 1979. 230 pages. Dans cet ouvrage ont peut consulter les différent
tableaux concernant les noms des familles et des lieux dits de ce temps. Pages
36 à 40.
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