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vendredi 22 octobre 2021

Fête de la découverte : Citrouilles 2021

FERME DE LA DÉCOUVERTE DE SAINT-ANDRÉ 2021                                                                             "Ferme de Découverte communication.ferme@gmail.com"

jeudi 14 octobre 2021

Sorède Autrefois

MŒURS ET CONDITIONS DE VIE AUTREFOIS A SOREDE
Christian Baillet
La lecture de la correspondance municipale, échangée avec les autorités préfectorales ou royales, peut se révéler riche de renseignements concernant la vie des Sorédiens de jadis. Ceci à plus forte raison lorsqu'elle traite de l'aspect humain concernant leurs mœurs et leurs traditions. Parmi tous ces documents, plusieurs écrits me paraissent mériter de figurer dans cet article. Tous s'appuient sur des situations et des faits réels pouvant sembler anachroniques à nous lecteurs d'aujourd'hui. Pour cette raison, j’ai voulu les accompagner de commentaires permettant de resituer le contexte de l'époque. Ces explications nous aident à mieux décrypter certains agissements semblant surannés, voire plus ou moins étranges. Quelle que soit l'interprétation personnelle que nous pouvons en faire, évitons toutefois de les analyser avec notre vision de 2018. Une lettre du Maire au Préfet au sujet d’une plaisanterie de mauvais gout, en 1905

Le 29 janvier 1905,
Monsieur le Préfet de Perpignan,
Un cas assez rare vient de se produire dans ma commune. Le 12 janvier dernier, par une délibération que vous avez bien voulu approuver le 18 du même mois, le conseil municipal a exprimé le désir qu’une place publique de la commune, primitivement dénommée « place Saint Pierre » fut appelée « place Emile Combes ». Dimanche dernier, je fis poser la nouvelle plaque indicatrice et le surlendemain, c'est-à-dire mardi soir, je vis avec étonnement un Christ nouvellement acheté et cloué les pieds, touchant le bord de ma plaque. Evidemment ce ne pouvait être qu’une de ces fines railleries comme savent en faire les réactionnaires de ma commune. Une très simple enquête m’en donna la certitude ; j’appris en effet que le Christ en question avait été placé par le Sieur Etienne N., fils réactionnaire militant mais peu intelligent. Je crois devoir ajouter que cet emblème est placé sur la façade d’une maison particulière, ce qui rend perplexe pour la solution à donner à cette affaire. J’ai eu beau compulser tout l’arsenal des lois et arrêtés, je ne trouve rien qui me donne le droit de faire enlever cet emblème.

Ne pourrais-je pas dans l’intérêt de l’ordre public et pour prévenir tout trouble pouvant résulter de cette sorte de provocation indirecte adressée aux républicains de ma commune, prendre un arrêté prescrivant toutes exhibitions d’emblème religieux sur la voie publique et prescrivant l’enlèvement de ceux existants ? J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me conseiller.
Lettre du maire de 1905, déplorant qu’un Christ fut posé sur un mur de la place publique 

 Le Maire Achille Vassal
Cette première lettre, au-delà d’un acte pouvant être perçu de nos jours comme mesquin et dérisoire, montre de toute évidence le climat de discorde qui régnait dans le village. Elle témoigne de la bataille souterraine à laquelle se sont livrés les partisans de la religion et les anticléricaux, lors de la promulgation de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905.
En effet, comme de nombreuses communes rurales de notre département, Sorède a connu des difficultés de cohabitation entre ces deux institutions, avec d’un côté, les Rastaillers (réactionnaires nostalgiques de la royauté et cléricaux), et de l’autre les Republicans (modernistes, partisans de la justice et anticléricaux convaincus). Ils ont marqué leurs oppositions en se livrant à quelques provocations par espiègleries interposées. Ils se déchirèrent aussi dans une « guéguerre » acharnée venant perturber la vie paisible de notre village. Tous les moyens ont été mis en œuvre pour empêcher le camp adverse de s’imposer. Ce geste de provocation en est un exemple frappant.

Ceci dit, les informations contenues dans cette lettre me paraissent suffisamment explicites pour ne pas ajouter de commentaires superflus. Saluons seulement le courage et la perspicacité de ce maire qui a su solutionner ce problème, en gardant son sang-froid face à cette conduite déplacée et en ne cédant pas à la provocation.

Une lettre du Maire à Monsieur le Procureur du Roi de Céret concernant un témoignage étrange s'étant déroulé en 1844
Ou l’exercice illégal de la médecine

Le 12 juillet 1844,
J’ai reçu votre lettre du 8 courant, relative à E.G. demeurant à la métairie Joachim qui exerce illégalement l’art de guérir.
Après avoir agi en conséquence de ce que vous me prescrivez dans ladite lettre, j’ai parlé à M.C., femme G. et M.B. femme C. qui dit-on, sont allées le consulter toutes les 2, se sont renfermées dans le silence le plus absolu. J’ai aussi parlé à C.V. femme A., qui a fait la déposition suivante :
« J’ai été consulté E.G. au sujet de la maladie de ma fille. Il tira de suite un jeu de cartes et après les avoir mêlées, il en tira une et après l’avoir examinée, il dit que le mal de ma fille lui avait été donné par 2 jeunes hommes, en particulier lui avait donné le mal en lui faisant toucher une lettre. Il ordonna ensuite que pour la guérison de ma fille, elle devait prendre un certain sirop qui lui rendrait à raison de 3 cuillers par jour. J’en pris pour une cinquantaine de jours ».
J’ai ensuite fait appeler R.G. femme pour qui a déposé ce qui suit :
« J’ai été témoin lorsque C.A. a consulté E.G. au sujet de la maladie de sa fille. Il lui a dit que sa fille était perdue, qu’il était déjà trop tard pour pouvoir la guérir, que le mal lui avait été communiqué par un jeune homme en lui faisant toucher une lettre. Vous pouvez cependant essayer de lui faire faire l’usage d’un sirop, que je vous prescris ». SOR 3 / Liste des Médecins, Pharmaciens et Sages-femmes datant de 1875
Signé : le maire

Cette seconde lettre nous rappelle combien les pratiques superstitieuses étaient ancrées dans les mentalités Sorédiennes d'autrefois. Elle nous interpelle aussi sur la crédulité de certains Sorédiens face à des imposteurs. Si ces quelques lignes peuvent heurter notre bon sens et notre conception de l'exercice de la médecine d'aujourd'hui, c'est aussi parce que des personnages sérieux (le maire entre autre), dont la bonne foi ne peut être mise en cause, se sont impliqués lors de cette affaire. Notre propos ici n'est donc pas de porter un jugement critique sur le comportement de tous ces gens, mais bel et bien de le décrypter afin d’essayer de les comprendre.

Lettre du Maire de 1844, au Procureur du Roi de Ceret sur le cas d’un jeune contaminé - Liste des Médecins, Pharmaciens et Sages-femmes datant de 1875 à Sorède. 

Mais tout d'abord, remémorons-nous brièvement le contexte social et sanitaire de cette époque. En cette moitié du XIXème siècle, de nombreux « thérapeutes » : curranderes (apothicaires amatrices), saludadors (guérisseurs), desembruixadors (exorcistes)… exercent leurs pouvoirs curatifs à l’aide de procédés pour le moins étranges. Ils se disent investis du don de guérir et possesseurs d'un savoir-faire hérité de leurs ancêtres. Leurs méthodes sont souvent basées sur l'absorption de potions, en la circonstance « un certain sirop », ou sur des dévotions faites en intercédant auprès de « Saints Guérisseurs ». Ceci est d’autant plus vrai que la superstition est partout, y compris dans la religion. Beaucoup assimilent encore à des maléfices ces maladies plus ou moins occultes. La preuve en est avec ce rituel encore en vigueur à cette époque : le respons de Sant Antoni (l'absoute de Saint Antoine), consistant à conjurer le mauvais sort ou à le chasser à l'aide d'une prière pendant laquelle on fait brûler de l'épilobe1. Il semble alors bien difficile de faire le distinguo entre médecine, religion et pratiques thérapeutiques obscures.

Pourtant l’exercice de la médecine a été récemment réglementé. La loi du 19 ventôse de l’an XI de la République d'Olivier Dalloz est venue clarifier cette activité en rappelant « la distinction faite entre un officier de santé, un docteur et un chirurgien »2. Mais certains de ces thérapeutes semblent être passés au travers de la réglementation, et tentent malgré tout d’usurper le titre de médecin tant convoité. D’ailleurs un dénommé Mr Cros, maitre en chirurgie3 exerçant à Sorède en 1843, venait d’en faire les frais et a dû quitter le territoire afin d’échapper à une sanction de la part de ses pairs.
Signalons également qu’en 1844, date à laquelle se situe cet épisode, la médecine moderne, et notamment les travaux de Louis Pasteur4, ne sont pas encore d’actualité. Personne ne connaît véritablement l'existence et l'action des microbes, bacilles et autres virus, rendant par conséquent les causes de certaines affections méconnues. 


Louis Pasteur – Carte 1° jour de France – Timbre de 1987 - Centenaire de l’Institut Pasteur

Régulièrement des maladies, comme celle de la « clavelée5 », sévissent parmi les troupeaux de bêtes à laine, alors que leurs éventuelles transmissions à l'homme ne sont pas encore élucidées. En 1843 par exemple, le maire est obligé de prendre un arrêté visant leur mise en quarantaine sans le moindre motif d'explication6. « Je ne peux dire si le troupeau est atteint d’une maladie contagieuse ou s’il a été empoisonné. Il faut faire appel à un homme de l’art.» se contente de répondre le maire dans une lettre adressée à la sous-préfecture. En 1870, c’est au tour des chiens de présenter des signes de maladie contagieuse. Le maire envoie un télégramme à la sous-préfecture réclamant l'autopsie d'un chien
soupçonné d'hydrophobie7. Le risque de contamination des puits semble être une préoccupation permanente pour le maire qui régulièrement promulgue des arrêtés municipaux contre les risques de pollution, etc…
Tous ces phénomènes, plus ou moins suspectés et diagnostiqués, sont donc autant d'inconnues sur lesquelles la population est en droit de s'interroger. D’autant plus que la dernière épidémie de choléra, survenue en 18358, peut laisser croire que la contamination directe, et notamment par « le toucher », reste encore possible. Tous ces préjugés, auxquels un grand nombre de gens croient encore, n'expliqueraient-ils pas dans le cas présent le recours à un désenvouteur ? Ceci est d’autant plus vrai que des males dones (sorcières) avec leur lot de maléfices abusent elles aussi de la crédulité des Sorédiens.
Enfin deux autres remarques méritent aussi d’être soulevées : La première concerne leurs conditions de vie. A cet effet, il convient de préciser que de nombreux Sorédiens habitent encore dans des métairies (ou mas), éloignées du village. En 1843, un état des lieux effectué par la municipalité recense : 12 métairies éparses comptabilisant plus de 80 habitants9 ; à savoir un isolement pouvant favoriser un contexte propice aux croyances et à un mode de vie encore très archaïque ? La seconde touche au vocabulaire proprement dit. On notera cette allusion à l’état de santé de la jeune fille : « il lui a dit que sa fille était perdue ». Une phrase lourde de conséquences, pouvant provoquer le désarroi et l’affolement chez une mère vulnérable. Notons enfin, au crédit du maire et du sous-préfet, leur rôle « moderne » et factuel ; en substance : la mise à l’écart du faux médecin, l’implication par un échange de courrier et la mise en quarantaine des animaux.

C’est par conséquent dans ce contexte, d’excès d’archaïsme, de crédulité populaire et de superstitions, que se serait déroulée cette affaire, auquel il faut rajouter le désarroi d’une mère… et nous avons là tous les ingrédients favorables à un terrain propice aux impostures ! Arrêtons donc là les tentatives d’explications et restons prudents sur les interprétations à lui accorder.   

Notes :

1 Communément appelée l'herba de Sant Antoni et à laquelle on attribue des pouvoirs de libération satanique
2 Réf : WIKIPEDIA. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) instaure des écoles de médecine. La distinction est abolie entre médecins et chirurgiens.
3  Dérivée de la rage. La personne désignée pour cette autopsie est rémunéré par abonnement rapportant 1100 frs par an (administration générale ADPO série M rapport de B. Ramonet adressé le 3/6/1811 au gouverneur général Mr Renouard)
4 L. Pasteur se rendit à Perpignan en 1867 pour visiter des magnaneries et s’enquérir de la maladie parasitaire La Pébrine transmise par le ver à soie
5 Maladie infectieuse des moutons non transmissible aux hommes
6 En fait il s'agit de la variole mais cette information n'est pas communiquée à la population
7 Maladie présentant les symptômes de la rage. Maladie soignée à cette époque par des saludadors pratiquant des superstitions sur les malades. Réf : Rapport d’un officier de santé B. Ramonet adressé le 3/6/1811 au gouverneur général Mr Renouard
8 Le maire après avoir convoqué en session extraordinaire le conseil municipal a pris un arrêté concernant la propreté des rues pour prévenir de ces risques d’épidémie. Réf : AC
9ls ont pour nom Bassola : 6 habitants, Ca : 3 habitants, Cassagnes : 8 habitants, Desoutres : 5 habitants, Félix : 12 habitants, Gregori : 10 habitants, Ginaral : 2 habitants, Jarlé : 14 habitants, Jeppe Gironi : 4 habitants, Marie-Angel : 3 habitants, Pouaté : 9 habitants, Tartère : 2 habitants (AC)