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samedi 2 janvier 2021

Pêche et pêcheurs de Collioure...fa temps !

 LA  PÊCHE  A  COLLIOURE… FA TEMPS
Armand Aloujes avec la collaboration de Louis Salembien.

     


Cher lecteurs du Blog « Massana-Albera », si j’ai pu vous donner certains renseignements sur cette activité, c’est grâce à mon ami Louis Salembien car, il a eu l’occasion de participer activement à ce métier, en tant que mousse d’abord, puis matelot sur diverses barques. Nous sommes tous les deux, de la même génération, et avons passé notre enfance, dans le même et vieux quartier du « Muret » à Collioure, mais, nous n’avons pas suivi le même chemin, lorsqu’il a fallu choisir. Nous nous sommes retrouvés plus tard, à l’usine de Paulilles, après qu’il eut quitté la pêche      

Louis Salembien m’a transmis toutes ces informations notées patiemment il y a quelques années, dans un document très explicite sur le métier de marin-pêcheur. Merci à lui de nous les avoir fait partager. De plus, en fin de texte, avant, la conclusion, Louis nous raconte quelques souvenirs personnels.
De Caucoliberis à Cotlliure.
Il y avait une fois, … C’est ainsi, que toutes les belles histoires commencent ! La mienne, c’est celle d’un petit village, blotti au bord de l’eau, au pied des derniers contreforts de la chaîne des Pyrénées. L’histoire de ce village, Collioure, a été marquée par des périodes de guerres, entre les rois de Majorque et d’Aragon, et l’Espagne toute proche. Mais, c’est surtout, son activité débordante, qui a animé ces lieux, pendant des siècles, et qui a fait sa réputation : La Pêche.
Mais, avant tout cela, Collioure avait un autre visage. Au VI° siècle avant J-C, la ville et toute la région, étaient occupées par les Visigoths, et nous pensons que les premières constructions, datent de cette époque. Puis, ce fut les romains, qui firent leur apparition ; on retrouve dans la région, de nombreux vestiges, que les envahisseurs ont laissés : Monuments, routes, édifices. Ils baptisèrent Collioure (Castrum Caucoliberis). Tout comme Port-Vendres (Portus Veneris), ou encore Château Ultréra (Vulturaria), les Cluses (Clausurae), et encore Elne (Illiberis et Castrum Helenae). Il fallut attendre 1375 pour nommer notre ville Cotlliure en catalan !
Comment vivre dans le petit port ?
      Pendant longtemps, le village vécut selon ses us et coutumes. Seules les guerres vinrent troubler la quiétude des lieux. Et c’est dans ce contexte, que Vauban, architecte des fortifications, s’appliqua à fortifier la ville : Remparts, forts, fossés, murailles de protection, ici, et dans plusieurs sites vulnérables de la région. Il est impératif de rappeler, quand même, que la pêche n’est arrivée qu’après le trafic maritime imposé par les grecs et romains. Pourquoi Collioure, plutôt que Port-Vendres ? Les routes n’étaient pas facilement praticables à l’époque et le transport par terre mal aisé. Port-Vendres, faisait partie de la ville de Collioure, et ses habitants, une centaine environ, n’étaient pas sédentaires. Le port, ou du moins, son anse naturelle, servait d’abri aux bateaux surpris par la tempête. Collioure fut donc favorisé, pour assurer le trafic maritime, étant plus près des circuits de distribution et des lieux de consommation. Lorsque Port-Vendres fut apte à assurer le trafic par mer, Collioure se dirigea donc vers la pêche.

      D’après les archives de l’amirauté de Collioure (1691-1790), créées par Louis XIV, on ne trouve aucune trace de pêche, avec ce que l’on appelle « Les filets dérivants, ou pélagiques » Il n’était question que de pêche au Bœuf (Bou), filet tiré par deux barques, (Gangui o Ganxi), crocher ou gros hameçon, palangre, et madrague (pour encercler le thon). Ce sont les pêcheurs génois qui, paraît-il, ont introduit cette fameuse pêche, avec ces filets dérivants, munis de bouées en liège (boies) reliées aux filets, par un filin (la culuma), qui permettait d’immerger les filets (xarxes) à la profondeur voulue. C’est alors que le roi d’Espagne, Philippe III, interdit cette fameuse pèche, car, disait-il, elle portait préjudice aux autres pêches ! De Gêne à Collioure, o dels Genovesos als Cotlliurencs
    

  Cela, n’empêcha point, les colliourencs, d’imiter les génois, d’autant plus, qu’ils connaissaient les endroits poissonneux. Ils savaient que la sardine pouvait se pêcher entre le Cap Cerbère et le Cap Leucate. Suivant les années, la pêche pouvait commencer, fin janvier ou début février. Le meilleur mois étant Mai, où la sardine se trouvait plus, au large. Jusqu’en juin, puis en septembre, il fallait la pêcher du côté de Port-la-Nouvelle ou Gruissan. Certains propriétaires de barques, confiaient leurs embarcations, à des patrons-pêcheurs, pour diverses raisons : C’était des hommes très expérimentés, connaissant tous les reliefs des fonds marins, rochers, épaves. Ils étaient capables de lire l’heure la nuit, avec les étoiles sur l’horizon. A l’époque, il n’y avait pas, de GPS, ni sondeur.

La pratique de cette pêche, s’est améliorée au fur et à mesure, et cela par voie orale, concertée, réfléchie, instinctive. Les patrons faisaient preuve d’intelligence, de subtilité ! Leurs échecs, leur servaient de leçon. Ils avaient intérêt à partager leur savoir-faire, et surtout le faire savoir. Ici, l’école, c’était le travail, et les bons résultats, leurs récompenses. C’est ainsi, que s’est forgé le métier !
La sardine se pêchait en deux temps : Le soir, (la prima), et l’aube (l’alba). Les barques quittaient le port, en fin d’après-midi, pour profiter du vent marin (el garbí), qui tombait le soir, et obligeait les marins à prendre les rames. Avant de caler les filets (sardinals), le patron surveillait le sens du courant, son intensité, pour faire un compromis entre ce courant et le coucher du soleil. Les barques calaient à peu près en même temps, en gardant un espace (espai), de 4 à 500 mètres, pour ne pas s’entremêler à l’aube, où il faisait encore nuit. Le patron criait très fort, pour indiquer à ses voisins, dans quel sens il calait ses filets : soit (Garbiau) vers le sud-est, ou (llaventau) vers l’est. Les filets étaient maintenus entre deux eaux, comme expliqué plus haut, avec ces fameuses Boies, 49 en tout, plus le signal. Ils mesuraient 100 mètres de long sur 15 de large. Constitués de fils de coton très fin (Le nylon, n’existait pas à l’époque). Ils étaient maintenus verticalement, par des flotteurs de 8 cm de diamètre, à la ralingue supérieure, et des balles de plomb à la ralingue inférieure. Chaque barque utilisait 4 filets.

     En 1820, quarante-cinq bateaux (llaguts) pêchaient la sardine à Collioure. En 1844, on s’avise que les pêcheurs génois (encore eux), venaient pêcher l’anchois, dans nos mers, au mois de mai. Le port, recevait alors, près de 200 bateaux de pêche. Les captures d’anchois, furent de plus en plus importants, et les pouvoirs publics ne manquèrent pas de s’intéresser, à cette source de revenus, et prirent des mesures pour inciter nos marins, à l’exploitation de cette nouvelle pêche. Le conseil général des P O, instaura l’octroi de deux primes de 400frs chacune : La première destinée aux deux bateaux nouvellement armés, et la deuxième, au patron qui obtiendrait la pêche la plus importante. Une troisième prime de 200frs, fut allouée à la confection de filets. La flotte se développa, et, en 1880, elle comptait 120 barques. La pêche à l’anchois, se pratiquait toute la nuit, en juin, juillet et août. Les barques partaient plus tôt que pour la pêche à la sardine, car il fallait profiter du vent, pour aller plus au large. Les filets se calaient au coucher du soleil, ils étaient immergés à une profondeur maximum de 3 brasses, contrairement au sardinal, où l’on pouvait caler plus profond. Un fanal et une cloche, étaient là, pour contrôler si les filets étaient bien tendus. Aussitôt en mer, il fallait donc les surveiller. Les matelots se remplaçaient, tous les quarts d’heure. Ils relevaient une quinzaine de mètres de filets, pour contrôler la prise d’anchois (una espia) - Un coup d’œil, un regard - car la hantise était, que trop de poisson, aurait pu entraîner les filets vers le fond, sans pouvoir les remonter - L’anchois péché à la maille, était de meilleure qualité, car bien calibré, faisant son sang, lors du démaillage (desempescar) ce qui assurait un meilleur goût, après salaison. Ces filets, que les pêcheurs dénommaient (anxoveres), se composaient de 9 pièces de 65 mètres de long sur 20 de large, et de maille 14 (pour la sardine : de 12 à 14). Ils étaient aussi en coton, putrescibles, qu’il fallait teindre, dans une teinture faite de décoction d’écorce de pin. Cette période, qui fut la plus féconde, a été suivie, d’une plus néfaste, pour la pêche à l’anchois.
De 1876 à 1902, des désaccords survinrent entre pêcheurs et saleurs. Grèves, manifestations se succédèrent, sans arriver à un accord. Question de rentabilité, concurrence.

 Résultat :  La pêche à l’anchois est arrêtée à Collioure en 1930. Alors qu’en 1907, on comptait encore, jusqu’à 140 barques, En 1940, 46 seulement. C’est donc, vers la pêche au Lamparo que le gouvernement de Vichy, autorise cette pêche (grosses lampes, lumières pour attirer le poisson). Deux barques seulement, la Vénus et la Vérité, firent installer le gazogène sans trop de succès. Les lampes à acétylène étaient utilisées pour les feux des lampes, sans trop de satisfaction. Finalement, l’occupant, fit débarrasser la plage de tous les bateaux qui s’y trouvaient, pour les parquer sur la place du marché. L’accès aux plages fut interdit !…

 

 Essayons de Conclure.
      Je voudrais terminer ce reportage que nous a livré Louis Salembien. Reportage, qui laisse percevoir une certaine amertume et déception, de voir ce qu’a été notre cher petit village, et ce qu’il est maintenant. Louis, a été un des acteurs malheureux et témoin de cette dégradation progressive. Si certains, ont profité de la situation, d’autres, ont connu la misère, et ont été obligés de se recycler. Les tristes événements, qui se sont produits ici, ne peuvent être rapportés aujourd’hui .Ils sont hors de propos. Pourtant, tout marchait bien, à une certaine époque.

      A cette activité principale, qui était la pêche, se greffaient plusieurs autres métiers : Ravaudeuses de filets, saleuses, cordiers, charpentiers de marine (Je voudrais nommer mon grand-père Jean Aloujes dit « en Janet » ou encore, ateliers de conditionnement pour le salé et le frais, grossiste et détaillant, (ma grand-mère Marie dite « la Bonica », poissonnière) sans compter les métiers traditionnels, épicerie, boucherie, boulangerie etc.… Collioure comptait environ 3500 âmes.
    

  La ville était un véritable chantier, mais, son entretien laissait à désirer, ainsi que sa propreté. Si on se situe, au début du siècle dernier, les rues, les murs, les lieux publics, ne sont pas très propres, pour ne pas dire sales, crasseux, poisseux, pas d’hygiène, l’eau courante n’existait pas. L’odeur du poisson, se mêlait aux effluents qui émanaient de l’eau nauséabonde des éviers, qui ruisselait à même la rue. Mais, comment peut-on imaginer, que certains artistes peintres, ont pu aimer ce décor ? Quel démon a pu les pousser jusqu’ici ? Mais, nous, les habitants, nous les enfants, c’était notre village, notre lieu de naissance, notre nid, notre terrain de jeux, bien entourés par la famille, acceptant ce que nos parents nous ont laissé. Et puis, comment savoir si ailleurs c’était mieux. Nous ne le savions pas !
      Ici, c’était notre univers, et la joie de vivre. Et nous vivions heureux ! Pour les peintres, c’était peut-être le soleil, le bleu du ciel, les voiles des bateaux, qui s’ouvraient comme des ailes de papillons. Mais cela, à nous, ne nous intéressait pas. Nous, les enfants, il nous tardait d’être grands pour pêcher comme ont fait nos pères et grands-pères. Il est vrai, que tout enfant male dans les familles, était orienté vers la pêche, dès l’âge de 11 ou 12 ans. Ici, il n’y avait pas de chômage. Bien sûr, il y avait quand même quelques exceptions, mais, c’était souvent comme cela, que ça se passait.

A propos d’artistes, il y en avait un qui était amoureux de Collioure. Ce n’était pas un peintre, mais, un chanteur, poète, le grand Charles Trenet.
Et toute cette histoire, me fait penser à une de ses chansons, que voici :

Que reste-t-il, de nos amours
Que reste-t-il, de nos beaux jours
Que reste-t-il, de ce que fut, Notre jeunesse. ? …

Il ne reste plus que le souvenir, d’un temps, disparu à jamais !

 

LOUIS FAUSTIN MONTARGES PÊCHEUR… et QUELQUES SOUVENIRS : par Louis Salembien 

   A notre époque, où l’on honore souvent, permettez-moi d’évoquer la mémoire de mon oncle  Louis Faustin Montargés, né en 1912. Descendant d’une lignée de  patrons-pêcheurs et pêcheur lui-même, membre des prud’hommes, très actif, il fonde en1946, la coopérative des pêcheurs. Sans lui, elle n’aurait jamais existée, et il en devient le directeur jusqu’à la fermeture. Je signale qu’à la fermeture, elle a été donnée à la commune pour le franc symbolique, malgré des offres d’achats alléchantes de promoteurs.

     J’ai péché sur plusieurs barques, notamment sur celle de mon grand-père : le Valmy, qui fut réquisitionnée pour placer des mines, le long du littoral. On la retrouva à la libération, très abimée. Du fait de la guerre, je n’ai pu continuer l’école, et il ne me restait plus que la pêche. J’embarquais sur le Jaurès, que mon oncle Louis Montargés, venait d’acheter, pour remplacer le Valmy. Le patron meneur était un nommé Vincent Delaris dit Barbe-bleue, et de surcroît unijambiste, comme dans les romans ! A cause de la guerre, l’essence faisait défaut, il fallait ramer (je signale, en passant, que les premiers moteurs, furent installés dans les années 20), ce n’est qu’en 1947, que l’essence est revenue. 


Cette après-guerre fut très pénible : nous n’avions ni bottes, ni cirés, et il fallait lever les filets, pieds nus malgré le froid de l’hiver. Après le Jaurès, mon voisin de quartier  Eugène Calmon dit le Borgne, me prit pour compléter son équipage. Puis, ce fut René Cabot,  un certain Fourcade dit en Dissabte et moi-même, pêchions  avec des demi-barques et faisions le travail d’une barque normale. La période la plus faste pour moi, fut celle que je fis avec Castuenyo dit el Genovès.

     En plus de pêcher la sardine, le bateau était équipé pour la petite pêche côtière, celle que l’on appelle communément « les petits métiers ». Car à cause des filets en nylon qui favorisèrent la pêche industrielle, la pêche au sardinal  est déréglementée au profit du lamparo en 1956-1957.

Les dernières unités restantes à Collioure se retirent à Port-Vendres jusqu’en 1962,  et d’autres n’ayant plus d’équipage, furent brûlées. Sur notre côte aujourd’hui, il n’y a plus un seul lamparo, ni une seule sardine. Collioure, n’est plus qu’un paysage figé, de carte-postale, où il ne se passe jamais rien, excepté la déferlante  de touristes en été !

             


Mais, que devenait, tout ce poisson péché, que tous mes chers compatriotes, s’empressaient d’aller puiser dans la mer ? Tout simplement, exposé à la vente.

     On  alignait, les corbeilles sur la plage (corbeilles de 50 kg, que les pêcheurs appelaient le Quintal).  La vente se faisait aux enchères descendantes, un responsable criait : A l’aixau à l’attention des éventuels acheteurs. Il y avait là : Les grossistes, détaillants, saleurs, transporteurs, curieux, profiteurs, touristes, et  enfants.

              L’argent récolté était confié à un responsable de confiance, et une fois par semaine les équipages se réunissaient dans un café, pour faire le partage devant une bonne bouteille de banyuls ou de pastis. Le préposé à la fonction, après avoir déduit les frais pour l’armement : essence, entretien du bateau et des filets, partageait le reste entre tous les présents. Le mousse  avait droit à une demi-part. Ici, pas de chèque, ni de carte bancaire, quand la pêche était bonne, chacun payait sa tournée, les cotisations à la caisse des invalides, sont aussi retenues.

              Quant à moi, n’ayant plus d’embarquement à Collioure, j’ai navigué sur deux pétroliers, dont un, battant pavillon Suisse, avec des voyages de trois mois, sans mettre pieds à terre. J’ai abandonné la mer en 1960 et pris le chemin de la dynamiterie de Paulilles où j’ai fini contremaître du service pétrissage.

Louis Faustin Montargés pêcheur, marin ? oui, mais pas seulement ! 

    


Beaucoup ne connaissent pas un des aspects de sa vie de militant engagé, dans la liberté des hommes. En effet, en 1936, mon oncle Louis Faustin Montargés assure le convoyage d’armes jusqu'à Barcelone pour les républicains en compagnie de Claude Simon 1 (1913 – 2005) qui était alors méconnu. Celui-ci à l’époque avait un pied-à-terre à Collioure, rue Saint-Sébastien. Je l’ai connu moi-même, j’avais 6-7 ans, quand il revenait de ses propriétés situées dans la plaine. J’allais chercher des fruits chez lui.

      En 1937 et 1938, on le retrouve en compagnie d’un autre colliourenc, J.F, sur un navire soviétique assurant la liaison Le Havre-Arkangels, qui transportait des armes pour les républicains ainsi que pour les révolutionnaires espagnols qui menaient leur propre combat indépendamment.

     Ce parcours valut à mon oncle par la suite, d’être arrêté par la police de Vichy. Sous l’occupation, les allemands l’arrêtèrent et le conduisirent à la citadelle de Perpignan pour un interrogatoire musclé. Ils le soupçonnaient de passer du monde en Espagne, ce qui était vrai.

     La carte de combattant de la résistance lui fut octroyée des années plus tard !

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